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destinés à cheminer lentement sur de bonnes routes, en arrière de l’armée, cela ne peut nous suffire. La cavalerie allemande a mobilisé, en 1870, 111,744 chevaux ; notre cavalerie dispose-t-elle aujourd’hui d’un pareil nombre de chevaux de selle ? Ici, les exigences s’accentuent : le cheval est l’arme du cavalier, arme vivante dont le maniement est particulièrement difficile et d’autant plus délicat qu’elle est mieux trempée ; aussi une longue adaptation est-elle nécessaire pour que l’homme et sa monture arrivent à former une entité : le cavalier, c’est-à-dire le combattant à cheval, dont le rôle, soit dit en passant, commence au lendemain de la déclaration de guerre. En effet, la cavalerie n’en est plus à chercher sa voie ; et Fon est d’accord sur ce point, en France comme en Allemagne, que les hostilités commenceront par la rencontre des deux cavaleries et par un duel à outrance sans précédent, entre champions « travaillant à l’arme blanche. »

Il est vrai que les perfectionnemens techniques des engins de destruction avaient, à la suite des campagnes de la seconde moitié du siècle, fortement ébranlé l’ancien prestige de la cavalerie. L’opinion publique, vivement frappée des causes extérieures, proclamait déjà la déchéance de cette arme et, du peu de services qu’elle avait rendu, concluait à son inaptitude présente, à son inutilité future. L’inquiétude, sinon le découragement et le désarroi, se faisait jour même parmi les cavaliers. Beaucoup de bons esprits, en acceptant pour leur arme qu’elle disparût des champs de bataille et se confinât aux services d’exploration et de sécurité, semblaient disposés à signer un acte d’abdication. Les chefs de la cavalerie prussienne eurent le mérite de protester immédiatement, en publiant dès 1873 un nouveau règlement dont les Prescriptions générales pour la conduite de la cavalerie ont été successivement adoptées, ou imitées, par toutes les armées européennes. Sous l’influence de ces nouvelles idées, qui ne sont d’ailleurs qu’un retour aux principes jadis appliqués victorieusement par Frédéric et par Napoléon, la sphère d’action de la cavalerie a recouvré toute son ampleur. Une expression allemande : Die Reiter-Massen stets voraus ! — les masses de cavalerie doivent être lancées en avant, — a fait fortune et résume aujourd’hui notre tactique. Or, nous l’avons dit, l’arme du cavalier, c’est le cheval : « Être ou ne pas être, » telle est pour la cavalerie l’importance de la question des remontes, car il lui faut être prête, et nous ne sommes plus au temps où, selon le général Foy, « la conquête rendait les remontes plus faciles et procurait de plus belles races de chevaux… »

Il n’est peut-être pas sans intérêt de retracer l’enchaînement des circonstances qui ont permis aux souverains de la Prusse de doter