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leur cavalerie d’une excellente race de chevaux de guerre créée pour ainsi dire de toutes pièces, car jusqu’en 1825, la cavalerie prussienne se remontait presque exclusivement à l’étranger. Cette race a victorieusement fourni ses preuves pendant la campagne de 1870-1871. Les résultats de l’enquête sur l’aptitude des chevaux, demandée aux chefs de corps de la cavalerie au retour de la campagne, témoignent avec la plus complète unanimité de la supériorité du cheval de remonte prussienne sur tous les animaux qui ont passé par les rangs. De la constatation de ce fait : l’excellence du cheval prussien, — qui est un produit artificiel, — il nous est permis de remonter aux causes. Celles-ci sont d’autant plus frappantes que, selon l’expression de M. Raoul Frary, les souverains de la Prusse, « rois hommes d’affaires, ont poussé jusqu’à ses dernières limites l’art d’accomplir de grands desseins avec peu de ressources. »

Peut-être aurions-nous plus d’un enseignement à tirer de l’étude des procédés prussiens quant à l’emploi utile des deniers de l’état. De longue date, les financiers des Hohenzollern ont accoutumé de n’engager que des dépenses fructueuses, c’est-à-dire profitables pour l’avenir ; et, depuis deux siècles, bien des étrangers ont manifesté leur étonnement de voir les parcimonieux gouvernemens de la Prusse répandre l’argent au profit d’institutions dont le succès pouvait paraître aléatoire et dont les résultats ne devaient pas être immédiats. S’il est permis de juger l’arbre à ses fruits, la génération actuelle peut se convaincre que, s’ils semaient dès longtemps, les rois de Prusse ont su faire une ample et utile moisson.


I

Pour développer et diriger l’élevage, les gouvernemens disposent de deux moyens connexes : les haras et les remontes. L’administration des haras a pour mission exclusive de faciliter la production du cheval d’armes en procurant des étalons et en éclairant les éleveurs, auxquels le service de la remonte devra fournir un débouché certain, régulier et rémunérateur. Il est donc essentiel que les haras et les remontes marchent toujours d’accord ; question du plus haut intérêt, car la sécurité nationale en dépend. C’est là une vérité d’une telle évidence, qu’on s’étonne à bon droit de constater qu’il ait fallu un siècle au gouvernement prussien pour s’en rendre compte. Que dire du nôtre, dont la conviction ne semble pas encore faite à cette heure ? Si toutefois la Prusse a pris du temps pour s’éclairer, il est indéniable qu’après avoir rouvert la voie, elle a marché d’un pas ferme, sans hésitation et sans faiblesse, en tenant compte de l’expérience acquise.