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se réveille de la mort et s’apprête à comparaître devant lui, apportant avec elle, pour le désarmer, les restes des martyrs auxquels elle a donné naissance. Je demande la permission de citer quelques vers de ce début magnifique, qui me semble avoir l’ampleur et la pureté des chefs-d’œuvre classiques :


Quum Deus dextram quatiens coruscam
Nube subnixus veniet rubente
Gentibus justam positurus æquo
Pondere libram ;
Orbe de magno caput excitata,
Obviam Christo properanter ibit
Civitas quæque pretiosa portans
Dona canistris.


Puis vient le tableau de toutes ces grandes villes de l’Espagne et de la Gaule qui se présentent tour à tour devant le Christ avec les reliques des saints qui les protègent. Elles ont eu soin, autant qu’elles l’ont pu, d’honorer leur tombe ; aussi, quand viendra le dernier jour, et que ces restes sacrés se ranimeront, il leur sera donné de les suivre et de s’envoler avec eux dans le ciel :


Sterne te totam generosa sanctis
Civitas mecum tumulis ; deinde
Mox resurgentes animas et artus
Tota sequeris.


Il me semble que, dans ces vers enflammés, je ne sens pas seulement l’inspiration d’un homme, mais celle d’un peuple. C’est là le principal mérite de la poésie lyrique : jamais elle n’est plus grande que quand elle traduit ainsi les sentimens populaires. Par malheur, ce mérite n’est pas de ceux qu’on aperçoive aisément à distance. Pour rétablir, par la pensée, cette communication entre le poète et son public, il faut un effort qui n’est pas toujours facile, et voilà comment il arrive que, chez ceux qui se sont faits les interprètes et la voix de leur temps, il y a tant de choses qui nous échappent. Qui peut se flatter aujourd’hui de comprendre entièrement Pindare et de lui rendre une pleine justice ? Dans Horace même, qui est plus près de nous et tout à fait à notre portée, nous aimons mieux les odes légères, qui ne demandent aucun travail pour être saisies, et où l’on entre, pour ainsi dire, de plain-pied, que celles qui chantent les triomphes de Rome et la gloire d’Auguste. Ce sont pourtant ces dernières que les Romains trouvaient les plus belles et qui, de leur temps, ont excité le plus