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reconnaissance ; il les remercie, au nom des peuples mêmes qu’ils ont soumis, d’avoir établi la paix et l’unité dans le monde : « Maintenant, dit-il, on vit dans tout l’univers comme s’il n’y avait plus que des citoyens de la même ville, des parens habitant ensemble la maison de famille. On vient des pays les plus éloignés, des rivages que la mer sépare, porter ses affaires aux mêmes tribunaux et se soumettre aux mêmes lois. Des gens étrangers entre eux par la naissance se rassemblent dans les mêmes lieux, attirés par le commerce et les arts ; ils concluent des alliances et s’unissent par des mariages. C’est ainsi que le sang des uns et des autres se mêle, et que de tant de nations il s’est formé un seul peuple. »

Ce beau passage en rappelle d’autres. Tous les grands poètes de ce temps ont célébré les bienfaits de l’unité romaine : c’était un bien dont on sentait tout le prix depuis qu’on était menacé de le perdre ; la peur qu’on avait d’en être privé, au moment où les barbares envahissaient l’empire, le faisait paraître précieux. Claudien aussi félicite Rome d’avoir accueilli les vaincus dans son sein et fait du genre humain un seul peuple :


Hæc est in gremio victos quæ sola recopit,
Humanumque genus commnni nomine fovit.


Il célèbre, comme Prudence, cette paix imposée au monde, qui fait qu’on peut voyager sans crainte, que c’est un jeu de visiter les contrées les plus lointaines, et que l’étranger qui les parcourt retrouve partout la patrie[1]. Quelques années plus tard, un autre poète, Rutilius Numatianus, reprend le même éloge. Il répète que c’est un bonheur pour tous les peuples d’avoir été vaincus par Rome, et qu’en leur communiquant ses lois elle a fait de l’univers une seule ville :


Dumque offers victis proprii consortia juris
Urbem fecisti quod prius orbis erat.


Il faut remarquer que de ces trois poètes, qui expriment les mêmes sentimens, presque dans les mêmes termes, aucun n’était né à

  1. Quelques années plus tard, Paul Orose célèbre en termes éloquens le même bienfait de l’unité romaine. Il montre qu’on peut voyager partout sans crainte et qu’on n’est étranger nulle part. Ubique patria, ubique lex et religio mea est. Seulement il n’appelle plus, comme autrefois, ce monde où tout le monde parle la même langue et vit sous les mêmes lois, imperium romanum ; il l’appelle Romania. On dirait qu’il veut rendre cette unité indépendante de l’autorité impériale qu’il sent près de périr ; même après la ruine de l’imperium romanum, il espère que la Romaniam’a pourra survivre.