Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incapables de payer leurs impôts. On a prétendu que les fellahs n’étaient pas aussi malheureux qu’ils prétendaient l’être, puisque les sommes perçues pour leur rachat du service militaire atteignaient de très gros chiffres. Mais qui ne sait que c’est au prix des plus grands sacrifices, en hypothéquant ou en vendant à vil prix la dernière parcelle de terre, leur dernier bœuf, les bijoux de leur femme ou de leur mère, qu’ils parviennent à réaliser ce rachat ? Le service militaire n’était-il pas pour le fellah la mort à courte échéance quand il fallait qu’il le fît dans la Haute-Égypte ? Pourquoi s’étonner alors si pour s’en exonérer il épuisait toutes ses ressources ?

En prenant ce qui précède pour buse, on arrive à cette conclusion, c’est que les 5 millions de feddans qui sont actuellement cultivés en Égypte, et qui autrefois étaient estimés à 100 millions de livres égyptiennes, ne valent plus aujourd’hui que la moitié de cette somme, soit 1 milliard 250 millions de francs, au lieu de 2 milliards 500 millions.

Il est incontestable que c’e3t par les produits agricoles, en faisant rendre à cette terre si admirablement féconde d’Égypte tout ce qu’elle peut donner, que le khédive et son peuple pourront arriver à conquérir une indépendance relative vis-à-vis de la Turquie, et, ce qui serait encore mieux, vis-à-vis de leurs créanciers.

C’est le moment de détruire une légende fort en crédit en Europe, à savoir que le sol de l’Égypte donne trois récoltes par an. Il y a plusieurs récoltes, il est vrai, mais de nature différente. Il y a celle qui a lieu au moment de la crue des eaux, en juin, et qui est recueillie peu de mois après avoir été semée, on l’appelle nili ; il y a la récolte d’hiver semée en octobre et rentrée fin de mai à juillet, on la nomme chiteri ; puis enfin celle d’été, sefi, en mars et avril, et récoltée de septembre à décembre. En résumé, on peut obtenir en trois ans et d’une même terre quatre récoltes de coton, fèves ou orge, bersim ou maIs.

C’est encore sous Méhémet-Ali qu’eurent lieu les premières cultures sefi, c’est-à-dire lorsque le cotonnier Jumel fit son apparition en Égypte. On comprend qu’il n’y ait que les gros personnages de l’état, les riches détenteurs des biens domaniaux, qui puissent se livrer à cette production comme à celle d’autres produits de valeur, tels que les sésames, le sucre, etc. C’est qu’il faut que les terres sefi soient arrosées trois mois avant l’époque de l’inondation, et l’entretien des canaux qui doivent fournir l’eau pour cet usage est excessivement coûteux.

Elisée Reclus nous apprend, dans sa belle étude sur l’Afrique septentrionale, que l’ensemble des déblais des canaux représente une masse égalant une fois et demie celle du canal de Suez, et que chaque