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pas mal fait. L’idée manque, le style aussi, mais l’orthographe y est. Certaines pages ne sont pas instrumentées sans adresse ; d’autres arrivent presque à charmer par elles-mêmes, grâce à un soupçon d’invention mélodique : notamment un petit trio bouffe au premier acte : Si j’y comprends un mot, je veux être pendu ; puis une sorte de nocturne pour deux voix de femmes et chœurs, où il est question de blés et d’oiseaux envolés ; enfin le prélude du second acte, où d’inexplicables roulades de clarinette et de flûte amènent un petit motif de violens avec sourdines, qui a rappelé assez agréablement à chacun un motif du ballet de Robert le Diable.

C’est tout, je crois. Le reste est insignifiant ; le reste, comme dit Hamlet, c’est le silence, et nous n’avons plus qu’à féliciter les artistes qui se sont tirés avec talent de ce mauvais pas. M. Fugère a tant d’esprit et d’entrain, M. Soulacroix, une voix tellement enchanteresse et un style si distingué, qu’on a redemandé à l’un des couplets, à l’autre une romance.

L’œuvre de MM. d’Ennery, Brésil et Litolff, il fallait s’y attendre, a réveillé la question, sinon la querelle, des opéras et opéras comiques à l’ancienne mode, ou vieux jeu. Après l’immense succès du Roi d’Ys, ou plutôt pendant ce succès, puisque, pour notre plaisir et pour notre honneur, il dure encore, on a protesté contre l’envahissement de l’Opéra-Comique par le drame lyrique et l’art nouveau. Le Roi d’Ys sur la scène de la Dame blanche et du Pré aux Clercs ! Quel abandon des traditions ! quel manquement à l’esthétique locale ! Alors M. Paravey, en directeur éclectique, a monté l’Escadron volant de la reine, et d’autres de s’écrier : « Foin de cette rengaine, de cette pièce rococo et de cette musique de momies ! Voilà enfin la mort et l’enterrement du genre, des formes ou des formules d’autan, et de la musique dite nationale. Cette fois on ne songera plus à reconstruire un musée pour de semblables vieilleries, et surtout on ne nous parlera plus du passé. »

Nous voudrions au contraire en parler un peu, de ce passé ; dire que la chute de l’Escadron volant n’implique pas celle du genre auquel appartient l’ouvrage ; dire aussi ou répéter qu’en art il n’y a pas de genres, mais des œuvres seulement, à proscrire ou à prôner. Aucune forme musicale n’est usée. Qu’un homme de génie ou seulement de grand talent surgisse demain, il fera ce qu’il voudra et dans la forme qu’il voudra, soit qu’il en crée une nouvelle, soit qu’il en ressuscite une qu’on croyait morte. Il écrira un Pré aux Clercs ou un Lohengrin, et nous applaudirons du même cœur un autre Voi che sapete ou une autre Chevauchée des Valkyries. Emitte spiritum tuum… Oui, c’est l’esprit et l’esprit seul qui renouvelle la face de la terre ; l’esprit qui ne souffle pas seulement où il lui plaît, mais comme il lui plaît. Musique du passé ou de l’avenir ! Qu’on dise donc tout simplement la bonne