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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/477

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cette émulation de bonne volonté pacifique qui semble se manifester au début de l’année nouvelle. C’est assez pour l’instant.

Le fait est que provisoirement, en dépit de tout ce qui peut raviver les conflits ou les dissentimens en Orient comme dans l’Occident, la paix paraît rester le mot d’ordre de toutes les politiques. On n’en est pas aux grands événemens ; ou en est plutôt aux incidens qui occupent cette trêve du jour, et il en est certainement de curieux, de caractéristiques. Ce qui se passe en Allemagne, sans être rien de plus qu’un incident tout allemand, est bien en vérité la chose la plus bizarre du monde. L’Allemagne, à part les questions de politique coloniale qui vont revenir d’ici à peu devant le parlement, en présence du chancelier lui-même, l’Allemagne s’est donné depuis quelque temps une occupation singulière. Il y a évidemment une guerre engagée un peu sous toutes les formes, poursuivie avec une sorte d’acharnement contre la mémoire du dernier empereur Frédéric III ; ce qu’il y a de plus étrange encore, c’est que le gouvernement de Guillaume II a visiblement le principal rôle dans cette guerre mêlée de subterfuges et de mystères, qui finit par atteindre tout le monde, l’empereur Frédéric d’abord, l’impératrice Victoria, des diplomates étrangers, l’impératrice-reine Augusta elle-même et ses serviteurs les plus intimes. L’incident primitif se complique d’incidens secondaires et inattendus ; les péripéties et les coups de théâtre se succèdent dans ce drame bizarre où la politique se mêle à un grand trouble de famille. Où cela ira-t-il, où cela peut-il aller ? On ne le distingue pas trop. On voit seulement le plus puissant des hommes, emporté par son humeur hautaine et vindicative, cédant à l’impatience de ses ressentimens contre tout ce qui le gêne, se servant de toutes les armes, des tribunaux d’état aussi bien que des polémiques de la presse, pour ne recueillir peut-être, au bout de tout, que des déboires.

Cet étrange imbroglio, il avait commencé, à vrai dire, autour du lit de mort du dernier empereur ; il s’est surtout noué et serré le jour où la publication du Journal de Frédéric III a motivé un rapport irrité du chancelier et les poursuites dirigées contre l’éditeur du Journal, M. Geffcken. Dès lors, tout a été mis en jeu contre les auteurs, les inspirateurs ou les complices de cette divulgation évidemment importune, dont on a voulu d’abord mettre en doute l’authenticité, qu’on a fini par représenter comme un acte de haute trahison. M. Geffcken a été traduit devant la cour supérieure de Leipzig. Pendant trois mois, il a été retenu au secret dans une étroite et dure captivité. Trois mois durant, on a instruit contre lui. Qu’en est-il résulté en définitive ? L’instruction n’a probablement conduit à rien, ou bien la cour de Leipzig n’a pas dû considérer M. Geffcken comme un grand criminel, puisqu’elle n’est pas même allée jusqu’au jugement et qu’elle vient de mettre en