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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/478

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liberté le prisonnier. Ainsi finit par une déconvenue la poursuite si bruyamment engagée par le gouvernement ! C’est une phase de l’imbroglio. Dans l’intervalle cependant, un autre incident d’une nature bien plus singulière encore est venu s’ajouter au premier incident. Un journal, qui n’a fait certainement que répéter ce qui lui avait été suggéré, la Gazette de Cologne, a mis en cause de la manière la plus inattendue un diplomate étranger, sir Robert Morier, aujourd’hui ambassadeur d’Angleterre à Saint-Pétersbourg. Ce diplomate spirituel et habile, connu pour ses relations d’amitié avec l’empereur Frédéric III et chargé d’affaires de la reine Victoria à Darmstadt, en 1870, a été lestement accusé d’avoir abusé de sa position pour trahir le secret des mouvemens de l’armée allemande au profit de la France pendant la guerre. On n’en pouvait douter : un attaché militaire allemand aurait recueilli le propos, à Madrid, de celui qui fut le commandant de l’armée française, l’ex-maréchal Bazaine. M. de Bismarck, dans son rapport sur le Journal de Frédéric III, avait déjà prétendu aussi que l’empereur Guillaume avait soin de ne rien dire à son fils, qu’il accusait d’indiscrétion dans ses rapports avec l’Angleterre et avec les Anglais. Le journal de Cologne n’a fait que reproduire, en la précisant, en mettant en scène le diplomate anglais, une insinuation du chancelier qui, en réalité, va droit au dernier empereur.

On ne peut s’y tromper, toute cette histoire n’est par elle-même qu’une fable assez ridicule. A part toute autre raison, il suffit de se rappeler ce qu’était la situation entre le 12 et le 18 août 1870, comment les événemens se déroulaient à cette époque, pour être assuré que sir Robert Morier n’a pas pu trahir un secret qu’il ne connaissait pas, que Bazaine n’a pas pu ignorer la marche de l’armée allemande qu’il avait à combattre dès le 14 août, devant laquelle il ne s’arrêtait le 16 que par des considérations politiques encore plus que militaires. On a beau faire appel au témoignage suspect de l’ex-maréchal, qui s’est d’ailleurs démenti avant sa mort, invoquer jusqu’à un télégramme effaré de l’impératrice, tout cela n’a rien de sérieux ; mais d’où le journal de Cologne a-t-il tiré son roman ? Comment a-t-il pu connaître certains détails précis, certains documens confidentiels qui ne peuvent être qu’à la chancellerie de Berlin ? Évidemment, il a reçu des communications, il n’a été qu’un écho, et c’est ici que l’affaire se complique. Sir Robert Morier, on le comprend, n’a pas voulu accepter devant son pays, devant l’Europe entière, le rôle équivoque qu’on lui prêtait. Il a écrit de sa meilleure plume à M. Herbert de Bismarck pour lui démontrer l’inanité des accusations dont il était l’objet, pour lui demander en même temps de mettre fin à la campagne de calomnies organisée dans ses journaux. M. Herbert de Bismarck a cru pouvoir se dérober par une lettre cavalièrement évasive, et s’est attiré du coup