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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/527

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attelés de front, par des plaines sans fin, plantées de vignes ou ensemencées de céréales qui commencent à sortir de terre.

Puis soudain la route, la belle route établie par les ponts et chaussées depuis le protectorat français, s’arrête net. Un pont a cédé aux dernières pluies, un pont trop petit, qui n’a pu laisser passer la masse d’eau venue de la montagne. Nous descendons à grand’peine dans le ravin, et la voiture, remontée de l’autre côté, reprend la belle route, une des principales artères de la Tunisie, comme on dit dans le langage officiel. Pendant quelques kilomètres, nous pouvons trotter encore, jusqu’à ce qu’on rencontre un autre petit pont qui a cédé également sous la pression des eaux. Puis, un peu plus loin, c’est au contraire le pont qui est resté, tout seul, indestructible, comme un minuscule arc de triomphe, tandis que la route, emportée des deux côtés, forme deux abîmes autour de cette ruine toute neuve.

Vers midi, nous apercevons devant nous une construction singulière. C’est, au bord de la route presque disparue déjà, un large pâté d’habitations soudées ensemble, à peine plus hautes que la taille d’un homme, abritées sous une suite continue de voûtes dont les unes, un peu plus élevées, dominent et donnent à ce singulier village l’aspect d’une agglomération de tombeaux. Là-dessus courent, hérissés, des chiens blancs qui aboient contre nous.

Ce hameau s’appelle Gorombalia et fut fondé par un chef andalou mahométan, Mohammed Gorombali, chassé d’Espagne par Isabelle la Catholique.

Nous déjeunons en ce lieu, puis nous repartons. Partout, au loin, avec la lunette-jumelle, on aperçoit des ruines romaines. D’abord Vico Aureliano, puis Siago, plus importante, où restent des constructions byzantines et arabes. Mais voilà que la belle route, la principale artère de la Tunisie, n’est plus qu’une ornière affreuse. Partout l’eau des pluies l’a trouée, minée, dévorée. Tantôt les ponts écroulés ne montrent plus qu’une masse de pierres dans un ravin, tantôt ils demeurent intacts, tandis que l’eau, les dédaignant, s’est frayé ailleurs une voie, ouvrant à travers le talus des ponts et chaussées des tranchées larges de 50 mètres.

Pourquoi donc ces dégâts, ces ruines? Un enfant, du premier coup d’œil, le saurait. Tous les ponceaux, trop étroits d’ailleurs, sont au-dessous du niveau des eaux dès qu’arrivent les pluies. Les uns donc, recouverts par le torrent, obstrués par les branches qu’il traîne, sont renversés, tandis que le courant capricieux refusant de se canaliser sous les suivans, qui ne sont point sur son cours ordinaire, reprend le chemin des autres années en dépit des ingénieurs. Cette route de Tunis à Kairouan est stupéfiante à voir. Loin d’aider