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entre elles la place de glisser un corps humain. Les Arabes qui peuvent y passer sont guéris des rhumatismes d’après les uns. D’après les autres, ils obtiendraient certaines faveurs plus idéales.

En face de la porte centrale de la mosquée, la neuvième à droite comme à gauche, se dresse, de l’autre côté de la cour, le minaret. Il a cent vingt-neuf marches. Nous les montons.

De là-haut, Kairouan, à nos pieds, semble un damier de terrasses de plâtre, d’où jaillissent de tous côtés les grosses coupoles éblouissantes des mosquées et des koubbas. Tout autour, à perte de vue, un désert jaune, illimité, tandis que près des murs apparaissent çà et là les plaques vertes des champs de cactus. Cet horizon est infiniment vide et triste, et plus poignant que le Sahara lui-même.

Kairouan, paraît-il, était beaucoup plus grande. On cite encore les noms des quartiers disparus.

Ce sont : Drâa-el-Temmar, colline des marchands de dattes ; Drâa-el-Ouiba, colline des mesureurs de blé ; Drâa-el-Kerrouïa, colline des marchands d’épices ; Drâa-el-Gatrania, colline des marchands de goudron ; Derb-es-Mesmar, le quartier des marchands de clous.

Isolée, hors la ville, distante à peine de 1 kilomètre, la zaouïa, ou plutôt la mosquée de Sidi-Sahab (le barbier du Prophète), attire de loin le regard ; nous nous mettons en marche vers elle.

Toute différente de Djama-Kebir, dont nous sortons, celle-ci, nullement imposante, est bien la plus gracieuse, la plus colorée, la plus coquette des mosquées, et le plus parfait échantillon de l’art décoratif arabe que j’aie vu.

Un escalier de faïences antiques, d’un dessin délicieux, une petite salle d’entrée pavée et lambrissée de faïences pareilles, une longue cour étroite entourée d’un cloître aux arcs en fers à cheval retombant sur des colonnes romaines et donnant, quand on y entre par un jour de soleil, l’éblouissement de la lumière coulant en nappe dorée sur d’autres faïences admirables dont tous les murs sont couverts, enfin une vaste cour carrée et cloîtrée encore, éclatante aussi de faïences superbes, d’un style différent, d’une diversité incroyable et décorée au-dessus d’arabesques délicates, conduisent dans le sanctuaire qui contient le tombeau de Sidi-Sahab, compagnon et barbier du Prophète, dont il garda trois poils de barbe sur sa poitrine jusqu’à sa mort.

Ce sanctuaire, orné de dessins réguliers en marbre blanc et noir où s’enroulent des inscriptions, plein de tapis épais et de drapeaux, m’a paru moins beau et moins imprévu que les deux cours inoubliables par où l’on y parvient.