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que sur sa seule adhésion ? N’est-on pas au contraire tranquillisé et affermi lorsque l’on rencontre quelqu’un qui pense comme nous ? « Je ne suis donc pas fou ? » dit-on alors. Plus le nombre des adhérens augmente, plus on est tranquille. De là le besoin qu’éprouvent tous ceux qui ont une opinion vive de faire corps, de s’organiser en groupes, de former des sectes, des écoles, des partis, de multiplier par l’autorité du nombre des voix la valeur de chaque voix individuelle. Mais cela même a son excès. Chaque groupe peut être égaré comme chaque individu ; l’esprit de secte et de parti a ses dangers comme l’amour-propre individuel. Aussi les esprits les plus éclairés éprouvent-ils le besoin de sortir des groupes, des sectes et des écoles, et de s’entendre avec les autres groupes, les autres sectes, les autres écoles. Quand on en vient à un point où tout le monde est d’accord, alors on a l’esprit tout à fait satisfait. Même dans les sciences, l’accord est encore un critérium. Est déclaré absolument vrai ce dont on ne discute plus. Tant qu’on dispute, c’est qu’on cherche. Le principal argument du positivisme contre la métaphysique est tiré des controverses éternelles des métaphysiciens, tandis que, dans les sciences, il y a un fonds de vérité toujours croissant qui échappe à la controverse. Cet argument ne suppose-t-il pas ce que demande précisément Lamennais, à savoir que l’accord des hommes est le signe non de la vérité, mais de la certitude ? Herbert Spencer a dit également que ce qu’il y a de vrai en philosophie, c’est ce qui est admis d’un commun accord par les belligérans, c’est-à-dire le résidu qui demeure quand on fait abstraction de tous les dissentimens.

Ce principe de l’accord, signe de vérité, ne signifie point du tout que le nombre fait loi ; mais il signifie que les chances d’erreur diminuent à mesure qu’augmente le nombre des chercheurs. Faites une addition, il peut s’y trouver quelques chances d’erreur ; mais si cent personnes font à la fois la même addition, il n’est pas probable que ces cent personnes puissent faire à la fois la même erreur. Si elles s’entendent sur le résultat, ce ne peut être le produit du hasard : c’est donc, selon toute vraisemblance, qu’elles ont rencontré la vérité. De même une seule personne, même dans les sciences, peut se laisser tromper par telle ou telle cause d’erreur : tel fait peut échapper ; telle illusion peut s’imposer d’une manière persistante ; et, s’il s’agit de choses morales, telle passion, tel préjugé d’éducation peut nous aveugler. Si le nombre des témoins augmente, les chances d’erreur se partagent dans des sens divers : l’un se trompera dans un sens, l’autre dans un autre, mais l’accord ne se produira pas. Il n’y a que la vérité qui puisse être cause de l’unité d’assentiment. On peut donc accorder que le consentement