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peut le dire, qui a été le chef et l’initiateur de cette doctrine et le véritable organisateur du parti. Le livre du Pape de Joseph de Maistre était presque exclusivement historique. Il avait plutôt pour but la justification de la papauté dans le passé que sa glorification dans le présent. Lamennais fit passer cette opinion de la théorie dans la pratique. C’est lui qui a entraîné et rallié le clergé français dans une doctrine qui lui avait toujours été antipathique. Il était né chef de parti. Il le fut toujours, même en changeant de drapeau. Plus tard, il voulut entraîner l’église dans une direction différente, et il n’y réussit que médiocrement. Voyons-le d’abord dans son premier rôle.

Rien de plus étrange que la renaissance de l’ultramontanisme en France au XIXe siècle. Comment cette politique, si contraire à la tradition catholique française, et que l’on n’avait pas revue en France depuis le XVIe siècle, comment a-t-elle reparu de nos jours ? Comment se trouve t-elle avoir été un des résultats de la révolution ? Expliquons d’abord la question.

L’église catholique, par cela seul qu’elle est catholique, est universelle, c’est à-dire s’étend au-delà des frontières de chaque état. C’est un grand avantage au point de vue religieux ; car la foi n’est pas altérée par les différences de territoire. Mais en même temps, au point de vue politique et social, c’est un grand inconvénient ; car chaque gouvernement prétend être maître chez lui ; et il est toujours plus ou moins contraire aux prérogatives de la souveraineté que l’état reçoive une partie de son impulsion (même au point de vue spirituel) d’un principe qui n’est pas le sien. De là une tendance de tous les gouvernemens à relâcher, quelquefois même à rompre les liens religieux qui unissent l’église à son centre. Quelquefois cette tendance se manifeste par une rupture absolue, un changement de dogmes, comme on l’a vu au XVIe siècle ; et ce fut l’une des causes de la réforme. Les états protestans ont mieux aimé l’hérésie et l’instabilité religieuse que la dépendance, même relâchée, d’une autorité extérieure. Chez d’autres peuples, la séparation s’est arrêtée au schisme, c’est-à-dire à la séparation purement disciplinaire et en quelque sorte administrative à l’égard du gouvernement romain. C’est l’état de l’église russe et de l’église anglicane. Enfin, une grande nation catholique, la France, tout en restant profondément catholique, et même, on peut le dire, le centre du catholicisme, tout en conservant ses liens avec Rome, avait résolu le problème par une solution moyenne, d’une politique habile et savante, c’est-à-dire en établissant certaines limites, certaines restrictions de pouvoir pontifical, en fixant les conditions auxquelles ce pouvoir exercerait son empire en France. Ces conditions sont ce que l’on a appelé les libertés de l’église gallicane,