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corrompt. L’un et l’autre ne connaissent que le pouvoir arbitraire, c’est-à-dire la volonté variable de l’homme. Ce qui fait illusion sur la vraie nature du gallicanisme, c’est la noblesse et la grandeur apparentes de ce dévoûment au prince, emprunté aux mœurs chevaleresques ; son vice fondamental a été de lier la cause de la religion à celle du despotisme, et d’avoir été par là l’origine du libéralisme, qui a lié au contraire à l’irréligion la cause de la liberté.

Il y a un vice secret dans cette polémique violente de Lamennais contre le gallicanisme : c’est que, quoiqu’il soit vrai en fait que cette doctrine a été liée au royalisme et même à l’absolutisme, cela n’est pas nécessaire en principe. On comprend très bien une monarchie limitée qui, tout aussi bien qu’une monarchie absolue, prendrait ses précautions à l’égard de la cour de Rome, et qui limiterait ce pouvoir en même temps qu’elle accepterait elle-même certaines limitations. Lamennais montrait bien l’excès du gallicanisme séparé du libéralisme, mais il ne prouvait pas qu’il y eût contradiction entre les deux principes, et que le parti libéral fût mal inspiré en soutenant, à son point de vue, les maximes gallicanes. Sans doute, en dehors de toutes garanties populaires, l’action du pouvoir pontifical a pu être une limite et une garantie, et l’exclusion de cette action a eu à la fois pour cause et pour effet l’extension du pouvoir absolu ; mais c’est là un fait purement historique, non une conséquence logique inévitable ; car la suppression du pouvoir pontifical en Angleterre n’a pas eu pour conséquence l’établissement du pouvoir absolu.

Lamennais ne se contente pas de cette critique générale du gallicanisme ; il en combat pied à pied toutes les maximes, et d’abord le premier des articles de 1682, celui qui déclare le souverains civil indépendant de l’église dans l’ordre temporel. Il est curieux de voir reparaître, en France, en 1825, toute la vieille controverse du moyen âge sur la suprématie des deux pouvoirs. Pour qu’une société subsiste, dit Lamennais, il faut deux : hoses : d’une part, un ordre moral, une loi morale, sociale, spirituelle, qui lie tous les hommes par des devoirs et des droits communs, par des croyances communes ; de l’autre un pouvoir qui maintienne l’exécution de cette loi et de cet ordre. Or, la loi venant de Dieu, comme le reconnaissent même les libéraux dans leur théorie de la souveraineté de la raison, il s’ensuit que le pouvoir en principe est divin. Le pouvoir est, comme le dit saint Paul, le ministre de Dieu pour le bien. Hors de là, point de liberté, car si le pouvoir vient du peuple, tout ce que fait le peuple est juste. S’il vient du souverain lui-même, il est donc à lui-même le principe de son droit. Or jamais on n’a soutenu que le souverain fût à lui-même son dernier juge. Le pouvoir, quand il