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foule aux pieds la loi divine, la morale, a perdu son droit. Donc la loi divine précède le pouvoir ; or quelle est cette loi divine, si ce n’est la religion ?

Lamennais établit trois propositions, qui sont tout le code de l’ultramontanisme, qu’il appelle le christianisme : 1° point de pape, point d’église ; 2° point d’église, point de christianisme ; 3° point de christianisme, point de religion et, par conséquent, point de société. Le lien de ces trois propositions est dans ce principe, que l’unité de la société repose sur l’unité de la vérité. Si la vérité est une, s’il n’y a qu’une vérité, il n’y a de société véritable que lorsque cette vérité est reconnue. Mais, si chacun est juge de la vérité, la vérité n’est pas une ; et comme cela est vrai de tous les hommes, la vérité ne vient pas des hommes, elle vient de Dieu, et par conséquent de la religion. Donc, point de religion, point de société. Il ne faut pas perdre de vue ici toute l’argumentation de l’Essai sur l’indifférence, de laquelle il résulte qu’il n’y a aucun moyen terme entre le christianisme et l’athéisme, et par conséquent l’anarchie.

Mais, de même qu’il n’y a qu’une vérité, il n’y a aussi qu’une religion. Dire que chacun est juge de la religion, c’est dire qu’il est juge de la vérité, et nous retombons dans le mal précédent. Il faut donc une autorité pour décider de la vraie religion. Or, la plus haute et la plus complète autorité est celle du christianisme. Donc, point de christianisme, point de société. Mais le christianisme lui-même ne peut subsister si chacun est juge de ce qui est et de ce qui n’est pas chrétien. Il faut donc une autorité constituée, une église. Donc, point d’église, point de christianisme, point de religion, point de société ; or, dans le protestantisme, il n’y a pas une église, il n’y a que des sectes. La seule autorité constituée en église, c’est l’autorité catholique. Donc, point de catholicisme, point d’église, point de religion, point de société. Enfin, une église elle-même ne peut subsister sans une règle infaillible, une autorité suprême, un chef qui en représente l’unité permanente, en un mot sans le pape. Donc, point de pape, point d’église.

Telle est la série de sorites par lesquels Lamennais lie sa politique à sa philosophie, et passe de la théologie à la théocratie. La société repose sur le pape. Le pape est le souverain spirituel du monde, non-seulement en ce sens qu’il gouverne les consciences et les âmes, mais aussi en cet autre sens qui en est la conséquence, qu’il doit faire respecter la loi divine, la loi spirituelle par ceux qui en sont les ministres, c’est-à-dire par les souverains. Lamennais ne va pas jusqu’à dire que le pape puisse s’attribuer un droit réel sur le temporel des rois, c’est-à-dire sur le