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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/588

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a cherché tout d’abord à réclamer pour elle le poste de procureur-général près les tribunaux indigènes. Elle a fait venir des Indes, à cet effet, et l’un après l’autre, deux magistrats d’ordre supérieur, mais qui, étrangers aux usages et aux lois du pays, ont dû se retirer. M. West, l’un de ces personnages, avait préparé et fait accepter un projet de réorganisation de la justice indigène. Or, ce projet, à peu près praticable pour la moitié du pays, ne pouvait l’être pour l’autre moitié. Il ne s’est jamais manifesté que par des lois maladroitement calquées sur d’autres lois défectueuses. Avec lui, impossible, au point de vue légal, de mettre en vigueur, dans la Basse-Égypte, une partie du code civil, et, quant au point de vue pénal, nulle peine n’était applicable. Cependant, comme on avait supprimé pour lui faire place beaucoup de tribunaux, les crimes et les délits se multiplièrent bientôt d’une façon inquiétante. On créa avec précipitation des commissions pour la répression du brigandage. Ces commissions se résumaient, ici comme ailleurs, en un jugement sommaire et en une exécution plus sommaire encore. Créées en 1884, elles furent prorogées, en 1887, pour un an, et si elles fonctionnent encore à l’heure actuelle, c’est que le brigandage, lui non plus, ne se repose pas. Les cheiks ou maires de villages, jadis responsables des méfaits qui se commettaient chez eux et autour d’eux, n’ont plus rien à y voir : c’est affaire de la police et de la gendarmerie qui, toutes deux, sont aux mains des Anglais. Un vieux résident français me disait qu’au bon temps d’Ismaïl-Pacha, il eût pu parcourir le pays un bâton à la main ; aujourd’hui, il ne va plus sans un revolver. Et, cependant, des Anglais assurent sérieusement que l’une des plus grandes gloires de l’Angleterre est d’avoir réformé la justice indigène en Égypte! Non, il lui manque pour cela des hommes versés dans la connaissance du pays, du droit et des principales législations européennes. Ainsi que l’a écrit fort bien un ancien magistrat, avocat en ce moment à la cour d’appel d’Alexandrie, l’Angleterre pèche par le vice intrinsèque de sa propre législation, celui de n’avoir jamais été codifiée[1]. Peu importe, du reste, que des légistes venus des rives du Gange aient échoué dans leurs projets de réorganisation judiciaire ; ce qui est intolérable, c’est l’arbitraire, et qu’on en juge.

Un médecin européen, Italien, chasse dans une plaine ensemencée de blé, à Chubrah, lorsque des fellahs l’arrêtent et veulent lui enlever

  1. De l’organisation judiciaire en Égypte, par M. Gaston Privat. Paris, 1887; Journal du droit international.