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son fusil, sous prétexte que lui et son chien abîment les récoltes sur pied. Pendant qu’il cherche à se dégager, l’arme part, et le docteur reçoit la charge dans le ventre. Il meurt le lendemain. Il y a enquête; l’autorité déclare que la mort est accidentelle et qu’il n’y a pas lieu de poursuivre les agresseurs.

Deux jours après ce drame, deux officiers Anglais chassent dans la plaine des Pyramides. L’un d’eux blesse par maladresse un enfant. Le père, un fellah, accourt, et cherche à désarmer le chasseur. Cette fois encore, le coup part, mais c’est le père de l’enfant qui tombe pour ne plus se relever. La population d’un village voisin accourt, entoure les officiers, qui reçoivent des immondices au visage et sont conduits garrottés au Caire. Une commission est formée et condamne douze hommes de cette population à six mois de travaux forcés et à la peine du trop fameux cat of nine nails, le fouet anglais. Cela se juge, s’exécute comme s’il n’y avait pas de tribunaux. Un escadron de hussards et cent hommes du 41e welsh régiment, — chaque homme avec cinq cartouches à balles, — se rendirent, musique en tête, au village de Kuffra, dans la plaine des Pyramides, à l’endroit même où s’était passé le drame et où la sentence fut exécutée en présence d’une foule terrifiée. Je rappelle à ce sujet ce que je crois avoir déjà dit, c’est qu’aussitôt après la bataille de Tel-el-Kebir, les Anglais, pour s’attacher les fellahs, avaient supprimé la bastonnade.

La justice est rendue en Égypte par trois juridictions : 1° les tribunaux ottomans ou indigènes; 2° les tribunaux consulaires ou étrangers; 3° les tribunaux internationaux mixtes ou de la réforme[1].

La première de ces juridictions se partage en juridiction du statut personnel et en juridiction du statut réel. Le statut personnel comprend les tribunaux de la loi religieuse et remonte au premier temps de l’Islam ; elle applique directement les règles du Coran au mariage, à la paternité et filiation, aux successions, donations et testamens. La justice est rendue par les cadis, depuis le grand cadi du Caire, nommé par le cheik-ul-Islam de Constantinople, jusqu’aux cadis d’arrondissement ou de district. Les cadis sont également chargés de délivrer les titres de propriété immobilière.

La juridiction du statut personnel musulman se complète par le

  1. Voici le chiffre des affaires jugées en 1887 dans la Basse-Égypte aux tribunaux indigènes du Caire, Alexandrie, Tantats, Bentra et Mansourah : Délits, 7,629; crimes, 611. — La cour d’appel a dû connaître de 1,401 délits et 268 crimes. — Dans la Haute-Égypte, aux tribunaux indigènes de Beni-Souf, Assiout et Keneh, ont été jugés 1,670 crimes et délits. La cour de cassation a du se prononcer sur 116 pourvois en matières criminelles.