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(si intéressantes qu’elles aient pu être au point de vue de la psychologie personnelle) n’a exercé, à proprement parler, d’influence sur l’homme à qui sa vie était liée.

Venons donc à celles dont l’action sur leurs maris a été continue et appréciable, bienfaisante ou néfaste. Les unes, — et c’est le très petit nombre, l’élite, j’en pourrais tout au plus nommer deux ou trois pour ce siècle, — ont vécu en parfaite intimité de cœur et de pensée avec leurs époux; d’une ouverture d’intelligence assez large pour comprendre leurs travaux et s’y intéresser activement, d’une culture d’esprit assez vaste pour en saisir les idées générales, d’un tact assez réservé pour favoriser l’éclosion de leurs idées sans jamais la forcer, d’une modestie assez désintéressée pour toujours s’effacer dans le monde, elles se sont faites leurs confidentes intimes, leurs inspiratrices discrètes ; vivant à côté d’eux, saisissant sans effort leurs plus délicates pensées, entendues elles-mêmes à demi-mot, critiquant d’un signe de tête à peine ébauché, approuvant non par des louanges bruyantes, mais par un imperceptible sourire ou simplement par un silence ému, très attentives dans leurs jugemens à n’être pas dupes de leurs préférences personnelles, mais à bien refléter, par anticipation, le sentiment du public tout entier, elles ont été une sorte de conscience littéraire, toujours présente, toujours fidèle.

D’autres ont exercé leur influence propice dans une tout autre direction, dans une voie plus périlleuse et plus ingrate; je fais allusion à celles qui se sont appliquées à dissimuler les égaremens ou à couvrir les ridicules du grand écrivain grisé par les succès de salon, perdant le sens de la saine raison, compromettant le sérieux de son âge et de sa situation; quelques-unes ont accompli, dans cette partie de leur rôle, des prodiges de dévoûment ingénieux et d’habileté gracieuse pour continuer à leur mari dévoyé une heureuse audience dans le monde et sauvegarder la dignité de sa vie.

Il est, aussi, des femmes d’auteurs illustres, qui ont exercé dans leur foyer une action funeste : elles interviennent généralement à cette heure critique où le talent littéraire, ayant dépassé sa maturité, tourne à la manière ou tend à se déformer ; elles contraignent alors un esprit fatigué par l’âge à produire dans des genres auxquels la vieillesse n’est pas propre ; elles excitent artificiellement une inspiration épuisée, quand elles n’y substituent pas leur inspiration propre. De là nous sont venues tant d’œuvres défraîchies, tremblées et malsaines, où les qualités premières devenaient défauts, où le souffle manquait, où la passion prenait des allures honteuses, où les sourires étaient tout ridés et grimaçans. Ces femmes-là ont été les mauvais génies de leurs