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comte de Plessis-Parscau, officier de la marine royale. Restées, en bas âge, orphelines de père et de mère, les deux jeunes filles furent élevées à Saint-Malo, chez leur grand-père, M. de La Vigne-Buisson, chevalier de Saint-Louis, ancien gouverneur de Pondichéry pour le compte de la compagnie des Indes, ancien commandant de Lorient au service du roi.

Céleste de La Vigne se lia de bonne heure avec Mlles de Chateaubriand, et se prit d’amitié pour Lucile ; elles se voyaient à Saint-Malo, dans l’intervalle des séjours de M. de Chateaubriand, le père, à Combourg.

Lucile était déjà l’âme délicate, rêveuse et tournée à la mélancolie qui devait inspirer l’Amélie de René; Mlle de La Vigne était douée, au contraire, d’un esprit positif et mesuré, d’une intelligence vive que n’égarait aucun écart d’imagination, et de cette vue saine et juste des choses que les crises les plus graves de sa vie ne troublèrent jamais. Au physique, la voici telle que Chateaubriand lui-même l’a dépeinte, dans la fraîcheur gracieuse de sa première jeunesse : « Elle était, nous dit-il, blanche, délicate, mince et fort jolie ; elle laissait pendre, comme un enfant, de beaux cheveux blonds naturellement bouclés. » Un portrait d’elle, qui date de sa vieillesse, permet de l’évoquer en une vision plus précise : les traits sont fins et purs ; les yeux éclairent tout le visage d’une vive lueur ; le nez, légèrement aquilin, donne à la physionomie une expression un peu hautaine ; la bouche est petite, avec des lèvres très minces que semble chatouiller l’ironie.

Ce fut en 1791, pendant que leur frère voyageait en Amérique, que Mlles de Chateaubriand songèrent à lui faire épouser leur amie ; elle allait avoir dix-sept ans, il en comptait vingt-trois. Elles lui firent part de ce projet dès son retour en France, qui eut lieu au mois de janvier 1792 : « Mes sœurs, écrit-il dans les Mémoires d’outre-tombe, se mirent en tête de me faire épouser Mlle de La Vigne. L’affaire fut conduite à mon insu. Je ne me sentais aucune qualité du mari. Toutes mes illusions étaient vivantes, rien n’était épuisé en moi ; l’énergie même de mon existence avait doublé par mes courses lointaines. J’étais tourmenté de la Muse. Lucile aimait Mlle de La Vigne et voyait dans ce mariage l’indépendance de ma fortune : — Faites donc, dis-je. »

Au ton dégagé de ces lignes, on voit que le jeune vicomte de Chateaubriand se prêta sans enthousiasme au projet d’union préparé en dehors de lui par ses sœurs, et que les considérations de sentiment n’entrèrent point en compte dans son acquiescement. Il était, en effet, à cette heure inquiète de sa vie où ses rêves cherchaient à prendre corps, où les figures poétiques qu’il allait créer s’ébauchaient