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avec tant de constance, que vous n’aurez aucun prétexte de m’abandonner. » — m Songez, ajoutait-il, qu’il faut que nous achevions nos jours ensemble. Je vous fais un triste présent que de vous donner le reste de ma vie; mais prenez-le, et si j’ai perdu des jours, j’ai de quoi rendre meilleurs ceux qui seront tous pour vous. » Commencé sous cette impression, le reste du voyage ne fut qu’une longue évocation des souvenirs de Mme de Beaumont. Quand ils arrivèrent à Rome, Mme de Chateaubriand était très souffrante, M. de Chateaubriand avait déjà pris sa mission en dégoût, et tous deux étaient de fort méchante humeur.

La suite du séjour se ressentit de ce début. Mme de Chateaubriand ne put ni s’accoutumer au climat romain, ni se plaire dans la société que sa situation d’ambassadrice l’obligeait à fréquenter. Dans l’isolement où elle cherchait à s’enfermer, son caractère s’aigrit ; elle devint taquine, laissant percer une joie maligne quand elle entendait M. de Chateaubriand se plaindre du séjour de Rome, où ses poses habituelles produisaient moins d’effet que chez Mme Récamier, et regretter ! Paris, où une crise parlementaire venait précisément d’ouvrir de vastes perspectives à ses ambitions politiques. On eût dit qu’elle était heureuse de le tenir enfin sous son autorité, et qu’elle lui faisait expier ses infidélités passées. Mais, tandis qu’il se lamentait ainsi et qu’il envoyait à Mme Récamier les protestations du plus vif amour, des consolations s’offraient secrètement à lui, et il les acceptait toutes. Une, entre autres, avait nom comtesse del Drago et comptait parmi les beautés de Rome; une autre était celle-là même qui devait « l’enchanter » pendant ses dernières années, celle qu’il supplia de le suivre à Paris quand il quitta Rome et qui le suivit en effet, celle qui, dans l’orgueil de son triomphe, put écrire un jour : « Deux femmes âgées dont je n’étais pas jalouse (Mme de Chateaubriand et Mme Récamier) le gardaient comme pour moi seule. »

Après la mort de Léon XII et l’élection de Pie VIII, M. de Chateaubriand fut, sur ses instances, rappelé de son ambassade, et, le 27 mai 1829, il rentra à Paris. Tandis qu’il développait à Mme Récamier, avec tout l’éclat, toute la séduction de sa belle imagination, « un plan de vie que rempliraient la religion, l’amitié, les arts, » et que, — presque le même jour, — il prodiguait à « l’enchanteresse » de Rome, qui était venue le retrouver, les marques d’une tendresse brûlante. Mme de Chateaubriand reprenait la direction de son infirmerie.

Sa vie allait donc recommencer comme par le passé, active, ordonnée, remplie, mais sujette aux mêmes souffrances de cœur et d’amour-propre. La révolution de 1830, tout en ne l’atteignant pas très