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cruellement dans sa foi légitimiste (elle était alors assez hostile aux Bourbons), lui fut pourtant une cause de graves soucis : la carrière politique de M. de Chateaubriand était brisée, et la pension qu’il touchait comme ministre d’état cessait de lui échoir.

Ce dernier point, en particulier, était de nature à réveiller toutes les inquiétudes de la vicomtesse. De quels revenus allaient-ils vivre désormais ? Si M. de Chateaubriand n’avait jamais eu la fortune assurée, du moins elle s’était, tout le long de sa vie, offerte à lui. La littérature lui avait apporté, en surcroît de la gloire, d’importans bénéfices ; les fonctions et dignités publiques dont la monarchie l’avait revêtu avaient été largement rétribuées, — les Bourbons avaient par deux fois soldé ses dettes, — l’arriéré de la pension attaché au titre de ministre d’état (dont il avait été privé de 1816 à 1822) lui avait été restitué. Et cependant, en 1830, il se trouvait dans une gêne voisine de l’indigence. C’est que, de tout temps, il avait dépensé sans compter, incapable de régler le train de sa vie ordinaire, de ses voyages ni de ses réceptions, semant l’or dès que sa bourse était pleine, non qu’il eût des besoins personnels, mais pour que le cadre où il se mouvait fût grandiose et digne de lui, employant ainsi le traitement d’un semestre à une fête d’ambassade, consacrant le revenu d’une année de ses œuvres littéraires à quelque galanterie royale. Les conseils de ses amis ne parvenaient pas à l’arrêter dans cette voie de dépenses irréfléchies. Mme de Chateaubriand avait beau arranger, liquider, déployer à ce soin sa remarquable faculté d’action et son entente des affaires, le gouffre se creusait chaque jour plus profond.

La situation à laquelle il se trouva réduit après la révolution de Juillet ne tarda pas à provoquer une crise où le sentiment de l’honneur subit en lui une passagère défaillance et où le cœur de Mme de Chateaubriand dut souffrir une angoisse mortelle. Il était en Suisse, près de Genève, presque sans ressources, pressuré de dettes. Là, un soir, se trouvant seul avec la vicomtesse, il fit un retour sur lui-même et fut tout d’un coup effrayé de l’avenir qui l’attendait, de la vieillesse qui venait et dont l’idée seule lui avait toujours fait horreur, de la misère qui le saisissait déjà et qui sans doute ne le lâcherait plus jusqu’à la mort : alors, dans un accès de révolte et de désespoir, il écrivit ces lignes :


Oh ! argent que j’ai tant méprisé !.. quand on ne t’a point, on est dans la dépendance de toutes choses et de tout le monde. Deux créatures qui ne se conviennent pas pourraient aller chacune de son côté ; eh bien ! faute de quelques pistoles, il faut qu’elles restent là, en face l’une de l’autre, à se bouder, à se maugréer, à s’aigrir l’humeur, à