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du mépris plutôt, que lui inspiraient les grands mots, l’emphase sonore et la fausse exaltation qui était le vice commun de son époque et le défaut capital de Chateaubriand.

Ajoutez à ces qualités le don de l’observation, une curiosité très éveillée, et l’indépendance d’une pensée qui se formait en toute chose de ses propres jugemens.

En revanche (et comme de raison), aucune imagination. Peu d’esprits, je crois, furent moins doués que le sien du côté imaginatif, moins tournés à la rêverie, plus en garde contre l’enthousiasme. Ce fut là, si on voulait comparer ensemble M. et Mme de Chateaubriand, le point où se marqua le plus nettement la différence de leurs natures morales : chez lui, l’imagination était tout, envahissait tout; chez elle, au contraire, la vie laissait des impressions simples, claires, très nettes, très distinctes, qui ressortaient sur le fond de son esprit comme se détachent, sur la rétine de l’œil, les plans successifs d’un paysage par une matinée limpide de printemps, quand il n’y a dans l’air ni vapeur ni poussière en suspens.

C’est à cette façon de sentir et de refléter en elle le monde extérieur qu’elle dut de traverser, sans y rien laisser de soi, les dures épreuves qui formèrent, pour ainsi dire, la trame même de sa vie. Les inquiétudes de toute sorte, les amertumes, les blessures d’amour-propre, les maladies du corps et les souffrances du cœur, les soucis matériels s’étaient succédé sans trêve pour elle depuis les premiers déboires du mariage jusqu’aux angoisses des dernières années; mais, la crise passée, elle retrouvait aussitôt cette humeur facile, cette gaieté légère qui n’était chez elle que le mouvement d’une âme saine, égale et tempérée.

Après la droiture du jugement, le trait le plus saillant du caractère de Mme de Chateaubriand fut le sens pratique : elle était d’une incroyable activité physique et intellectuelle, toujours en mouvement, aimant passionnément l’action, non pas celle qui cherche à se manifester par l’influence morale, l’exemple et les conseils, mais celle qui ne se satisfait que par des œuvres positives, bien réelles.

Son activité s’exerça dans deux voies très différentes : la politique et la religion.

De tout temps, ainsi que nous l’avons vu, elle s’était intéressée à la politique. Comme Pauline de Meulan, comme tant d’autres femmes de la même famille d’esprits qui étaient entrées dans la vie, — dans la vie intelligente, — aux approches de 1789, — elle avait gardé de cette époque de sa jeunesse le sens et le goût des questions politiques. Bien qu’elle n’apportât pas, dans sa façon de s’y appliquer, la nature impétueuse, l’ardeur impatiente et ambitieuse