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de Chateaubriand, les opinions qu’elle professa ne furent ni moins nombreuses ni moins contradictoires que celles du grand polémiste. On pourrait alléguer pour son excuse, — s’il en était besoin en telle matière, — qu’elle vivait dans un temps où la logique n’était pas ce qui réglait les convictions et où se vérifiait tous les jours ce mot de La Bruyère : « Il ne faut pas vingt années accomplies pour voir changer les hommes d’opinion sur les choses les plus sérieuses comme sur celles qui leur ont paru le plus sûres et le plus vraies. »

Par son tempérament comme par ses traditions de famille et de race, la vicomtesse de Chateaubriand était indépendante et portée secrètement vers l’opposition, sous quelque régime que ce fût. On eût pu lui appliquer ce que les Mémoires d’outre-tombe nous apprennent de M. de Chateaubriand le père : « Le sang breton le rendait frondeur en politique, grand opposant des taxes et violent ennemi de la cour. » L’impression que lui avait laissée la révolution était celle d’un affreux spectacle qui éveillait en elle les plus atroces souvenirs, mais l’horreur qu’elle en avait gardée était tournée plutôt contre les hommes qui l’avaient dirigée que contre les institutions qui en étaient sorties et dont la plupart, d’ailleurs, étaient dans le sens même de ses opinions. Aussi, quand le 18 brumaire mit fin à l’ère révolutionnaire, toutes ses sympathies allèrent à l’homme qui personnifiait désormais les destinées de la France. Elle fut d’abord comme éblouie de son génie; « elle l’admira sans restriction. » Le meurtre du duc d’Enghien, qui fournit à M. de Chateaubriand (alors ministre dans le Valais) l’occasion de se retirer, — par une sortie éclatante et digne de lui, — d’une carrière dont les débuts l’avaient découragé, ne diminua pas l’enthousiasme qu’elle ressentait pour Bonaparte : non qu’elle ne le jugeât, en soi, très sévèrement, mais fascinée qu’elle était par l’éclat de sa gloire. Si jamais sa nature, par ailleurs si maîtresse d’elle-même et si pondérée, céda à un entraînement, ce fut pour la personne du premier consul, bientôt empereur. « Les fêtes en se succédant, écrit-elle, achevèrent de tourner les têtes, et ce fut au commencement de l’année 1805 qu’eurent lieu les plus grandes défections. Le saint-père avait posé ses mains sur la tête de l’empereur, et ses victoires achevaient de le rendre irrésistible. » Et elle ajoute avec malice : « Cette année, je pense, ou en 1806, MM. *** et *** furent nommés auditeurs ; ils jurèrent de ce moment fidélité à toutes les monarchies présentes et futures. »

La mesure de rigueur qu’attira à M. de Chateaubriand la publication de l’article du Mercure commença de la désabuser ; l’exécution sommaire de son cousin, Armand de Chateaubriand, compromis,