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légale. De même Abraham Lincoln, et bien avant lui Jackson, avaient été avocats avant de songer à gravir les plus hauts sommets, celui-là de l’échelle politique, celui-ci de la carrière militaire. Il est incroyable combien cette profession a fourni aux États-Unis de présidens, de vice-présidens, de sénateurs, de représentans, de fonctionnaires de tous ordres, de politiciens et même de généraux. Il est vrai qu’en France les avocats ne sont pas moins heureux, et qu’il suffit de considérer ce qui se passe sous nos yeux pour ne plus s’étonner de bien des excentricités de la vie politique américaine. Harrison ne plaidait pas encore, n’était même pas en âge d’user de son droit de suffrage, que déjà il était père de famille. Il avait épousé la fille d’un professeur de l’université d’Indiana. Ce mariage ne lui apporta pas la fortune. Il alla s’installer à Indianapolis, où il réside encore aujourd’hui, et vécut très modestement, tout en se formant peu à peu une clientèle. Quand vint la guerre civile, il suivit l’élan général, abandonna ses dossiers et partit avec une compagnie de volontaires.

L’avancement était rapide dans ces armées improvisées par les gouverneurs d’états dans l’Ouest. M. Benjamin Harrison conquit lestement les grades de lieutenant, de capitaine et de colonel. Il ne trouva cependant pas l’occasion de se distinguer dans quelque action d’éclat, et la part qu’il prit aux exploits des armées de l’Union reste malheureusement ignorée de l’histoire. Dans les derniers jours de la lutte, il fut proposé par le général Hooker pour le grade de brigadier-général, qu’il obtint, et c’est pourquoi on continue à l’appeler le général Harrison, comme les concitoyens d’Abraham Lincoln l’appelèrent longtemps le capitaine, parce qu’il avait servi pendant deux mois à la tête d’une compagnie de volontaires contre l’Indien Black-Hawk. On raconte que Benjamin Harrison n’avait pas l’air martial, que les officiers, ses camarades, le plaisantèrent souvent à cet égard, mais qu’en revanche il était adoré de ses soldats, pour le bien-être desquels il se montrait plein de sollicitude. La guerre finie, il déposa les armes, revint à Indianapolis et se remit à plaider. Mais l’avocat, dès lors, se doubla en lui du politicien. Déjà, en 1856 et en 1860, il était monté sur le stump, autrement dit, il avait fait de la propagande active par la parole pour Frémont et Lincoln, et avait embrassé avec ardeur les principes du parti républicain récemment formé. Il s’engagea résolument dans les luttes politiques après 1865, et les républicains de l’Indiana le récompensèrent de son zèle en adoptant, en 1876, sa candidature pour-le poste de gouverneur. Il échoua, mais fut envoyé, en 1880, au sénat fédéral. Il fit, pendant les six années réglementaires, partie de cette assemblée, où il se montra habile debater, sans toutefois y