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du Sud, tandis que l’on dépouillerait les soldats et les marins de l’Union des pensions et gratifications que la reconnaissance nationale leur avait accordées ; les gens de couleur seraient remis en esclavage dans le Sud, la doctrine de la sécession serait réaffirmée et toutes les conditions du règlement qui suivit la guerre civile abrogées.

Ce n’étaient pas là des exagérations de rhétorique. Une partie notable de la population américaine donnait crédit à ces billevesées. Par le seul fait que le parti républicain prétendait et croyait avec sincérité avoir exclusivement droit à la possession du pouvoir pour le bonheur de l’Union, pour la prospérité de ses industries et pour la bonne tenue de son crédit, ce parti devait fatalement tomber dans la corruption, et il y était tombé depuis la double présidence de Grant. Il présentait les mêmes symptômes de décadence que les esprits clairvoyans dénonçaient jadis, en 1856, dans le parti démocratique, maître de l’Union depuis Jackson.

Combien, en effet, ce parti avait dégénéré après les beaux temps de son fondateur, Thomas Jefferson ! Les progrès du pouvoir esclavagiste avaient changé la nature de son organisation. Il avait passé sous le contrôle exclusif d’une association de maîtres d’esclaves, et n’était plus que le gouvernement d’une classe. Avec le temps, le despotisme de cette oligarchie souleva l’intelligence et le sentiment moral de la nation. La formation du parti républicain dans le Nord fut une protestation contre la prétention des barons esclavagistes de perpétuer leur domination par une extension indéfinie de l’esclavage.

Dans ce conflit, toute la force intellectuelle et morale du pays était avec les républicains. Il en fut encore ainsi pendant la guerre civile, et, dans une certaine mesure, au cours de la période de « reconstruction. » Mais, pendant les deux présidences de Grant, l’ivresse du succès, la quiétude de la victoire, avaient accompli leur œuvre de démoralisation. Le parti républicain cessa d’attirer à lui ce qu’il y avait de plus fort, de plus sain, de plus respectable dans l’Union. Déjà des voix s’élevaient dans le parti même, déclarant une réforme nécessaire. L’élection de Garfield, en 1880, inspira l’espoir que la régénération allait se produire, mais la mort tragique du président et la transmission du pouvoir aux mains de ivl. Chester Arthur, fort aimable gentleman, mais politicien de l’école de Conkling et de Grant, prépara la scission des indépendans, qui éclata en 1884, lorsque la convention nationale républicaine eut choisi M. Blaine comme candidat à la présidence.

Que cette nomination dût être un coup fatal pour le parti, les républicains aveuglés seuls purent à cette époque en douter. Les indépendans, ou mugwumps, comme les appelèrent bientôt les