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de l’état, pour un membre de la chambre des représentans à Washington, pour le maire de la ville, pour d’autres fonctionnaires locaux. Qu’il s’établisse une certaine confusion, sinon entre tous ces votes, du moins dans les motifs sur lesquels ils sont émis, qui pourrait s’en étonner? On affirme que la candidature démocratique, peu recommandable, de M. Hill, pour la réélection au poste de gouverneur, a fait un tort sérieux à la cause de M. Cleveland auprès d’un grand nombre d’électeurs impartiaux. Cependant M. Hill a été réélu gouverneur, tandis que, par l’action d’un ensemble de causes obscures, au milieu desquelles il est impossible de discerner la cause déterminante, M. Cleveland a été battu dans l’état qui avait été le point de départ, l’agent principal et le théâtre de son éclatante et si rapide fortune politique.

Mais les résultats du scrutin vont bien au-delà de ce renversement de la faible majorité démocratique de 1884. M. Cleveland n’a pas seulement perdu le New-York et l’Indiana. Le solid South a été entamé. Ce groupe compact des seize états du Sud, les anciens états à esclaves, qui, depuis 1872, unis par la solidarité des souvenirs et des traditions plus que par celle des intérêts, avaient toujours voté pour les candidatures démocratiques, est en voie de désagrégation. L’influence du Nord a réussi à en détacher cette année la Virginie occidentale. En 1876, Tilden, le candidat démocrate, avait obtenu dans cet état une majorité de 11,000 voix sur son concurrent, M. Hayes. En 1884, la majorité de M. Cleveland sur M. Blaine n’y était déjà plus que de 4,000 voix. Aujourd’hui les démocrates y sont en minorité. Dans la Virginie même (old Virginia), la suprématie de l’élément démocratique est depuis longtemps battue en brèche et chancelante, et le petit état du Delaware, tout en donnant une majorité à M. Cleveland, a élu une législature républicaine.

S’agit-il de faits accidentels, résultant d’un hasard électoral qu’un autre hasard pourra contredire en 1892? Nullement. C’est le mouvement général de la population aux États-Unis qui menace ainsi d’un amoindrissement progressif l’importance relative du Sud comme facteur dans les futures élections présidentielles. En 1860, la population des états à esclaves s’élevait à 12,240,000 habitans sur une population totale de 31,400,000, soit une proportion de 40 pour 100. Le recensement de 1880 leur attribue 18,500,000 habitans sur une population totale de 50 millions, soit une proportion de 37 pour 100. Il est certain que le prochain recensement de 1890 accusera une proportion moindre encore. La part du Sud dans le nombre des voix du corps électoral présidentiel suit naturellement la même marche descendante. Il lui était attribué 120 voix sur 303 en 1860, et 153 sur 401 en 1880, soit 40 pour