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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/689

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des mœurs de cour, le luxe du harem, tout cela détacha les princes de l’ancien idéalisme, les détourna de la voie d’Israël, les rendit favorables aux pompes des cultes idolâtriques. Mais le monothéisme n’en continua pas moins de subsister, de s’épurer même dans la lutte qu’il dut soutenir contre les exemples d’en haut et contre la superstition d’en bas, de se ressaisir enfin d’une prise plus énergique et plus tenace, — jusqu’au jour où les prophètes allaient en assurer le triomphe.

Ce sont, en effet, les prophètes qui représentent ce que l’on pourrait appeler la conscience d’Israël dans l’histoire, comme ses artistes, ses poètes, ses philosophes ont en quelque sorte incarné celle de la Grèce, et ses politiques ou ses jurisconsultes celle de Rome. Ces hommes extraordinaires, qui paraissent avoir été de toutes les conditions, — cette remarque est capitale, — un bouvier comme Amos, un petit propriétaire campagnard comme Michée, un citoyen de naissance presque illustre comme Isaïe, sont vraiment, ainsi qu’on l’a dit, les « grands hommes » d’Israël. « c’est par le prophétisme qu’Israël occupe une place à part dans l’histoire du monde. La création de la religion pure a été l’œuvre, non pas des prêtres, mais de libres inspirés. Les cohanim de Jérusalem, de Béthel n’ont été en rien supérieurs à ceux du reste du monde ; souvent même l’œuvre essentielle d’Israël a été retardée, contrariée par eux. » Si je n’oserais affirmer que cette vue sur le prophétisme appartienne en propre à M. Renan, si même je crois bien savoir où je l’ai déjà rencontrée, je puis et je dois dire en revanche que, par la place qu’il lui a donnée dans son Histoire du peuple d’Israël, par la nature, par l’ampleur, par l’éclat des développemens qu’il en a tirés, il l’a faite vraiment et entièrement sienne.

Il n’a pas moins heureusement caractérisé ou précisé le rôle des prophètes en disant qu’il avait consisté « à faire entrer la morale dans la religion ; » et nous ne saurions trop admirer la profondeur et la fécondité de cette simple formule. Car jetez seulement les yeux; sur les religions de l’antiquité, sur celles de l’Inde, ou de la Grèce, ou de Rome? Dirai-je qu’elles justifient tout ce que les Pères de l’église en ont dit? qu’il n’est pas de vices qu’elles n’aient mis sous l’invocation d’un dieu de leur Olympe? et que le seul moyen qu’elles aient enseigné de résister aux tentations vulgaires, c’est d’y succomber, pour les anéantir dans la satiété? Mais ce qui ne semble pas douteux, c’est qu’à Rome, et surtout en Grèce, la morale et la religion sont demeurées étrangères l’une à l’autre, ne se sont pas compénétrées, n’ont pas essayé de se prêter un mutuel appui, se sont même développées plutôt en sens contraire, pour ne pas dire hostile. On a soutenu plus d’une fois que le christianisme était fait quand Jésus apparut, et, comme les dogmes chrétiens ne sont que la métaphysique