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III.

Nous pourrions en demeurer là, si l’Histoire du peuple d’Israël, en même temps que d’un philologue et d’un historien, n’était aussi l’œuvre d’un philosophe, ou, comme on dit, d’un « penseur. » Mais, on le sait assez, très différent en ceci de la plupart des philologues et de beaucoup d’historiens, M. Renan n’a jamais écrit, je ne dis pas une « Histoire, » je dis un simple « Mémoire, » — sur l’Agriculture nabatéenne, par exemple, — sans y insinuer quelques-unes de ces idées générales, dont ceux-là seuls affectent le mépris qui ne savent pas les former. Ils en ignorent peut-être l’usage, qui est de faire sentir les rapports d’une monographie avec l’ensemble dont elle fait partie, et de cet ensemble lui-même avec une conception totale de l’histoire et de la vie. C’est ce qui fait le charme et la portée de tout ce qu’écrit M. Renan. De la discussion de l’âge d’un texte ou de la valeur d’une particule, M. Renan ne tire point, comme certains Allemands, des conséquences à l’infini, qui n’élargissent point, qui noieraient plutôt l’objet de la discussion, mais il excelle à les suggérer, ou, mieux encore, il va droit et d’abord à la plus générale, dont l’intérêt réagit sur celui du point particulier de grammaire ou de chronologie qu’il traite. On avance ainsi, en même temps que dans l’Histoire du peuple d’Israël ou dans celle des Origines du christianisme, non-seulement dans l’histoire de la pensée de l’auteur, mais dans la connaissance même de l’homme et de l’évolution de l’humanité. Comment l’homme s’est dégagé de l’animalité primitive et quelles forces ont jadis aggloméré les premières sociétés ; comment les nations se forment et comment les religions se fondent; comment le caractère d’une langue détermine ou conditionne la pensée de ceux qui la parlent, et comment le Dieu d’un clan est devenu celui d’une cité, puis d’un peuple, ou de l’univers même : toutes ces questions, et bien d’autres encore, M. Renan les effleure; du moins il n’a pas l’air de les approfondir; mais il n’en est pas une dont il n’indique la solution d’un trait presque également rapide, sûr et heureux. Ou, en d’autres termes encore, et de même que, dans sa seule manière de poser le problème philologique, on voyait se dessiner une nouvelle histoire d’Israël, ainsi, dans sa manière d’écrire l’histoire, on voit paraître toute une philosophie de l’homme et de la vie. C’est ce qui nous oblige, avant de le quitter, à lui soumettre une ou deux objections.

Tout en admettant donc avec M. Renan qu’il n’y ait, dans le passé de l’humanité, que « trois histoires de premier intérêt,» je suis beaucoup moins sûr qu’il n’y ait qu’une religion, et que cette religion