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soit celle d’Israël, de Jésus et de Mahomet. En effet, si le monothéisme sémitique, la philosophie grecque et la politique romaine, suffisent pour nous rendre raison de la formation, de l’ascendant et du développement du christianisme, ces trois élémens sont-ils également simples, je veux dire indécomposables, irréductibles par l’analyse, et la philosophie grecque, par exemple, s’est-elle formée d’elle-même, d’elle seule ? ou, au contraire, des influences venues de l’Orient ne l’ont-elles pas, en différens temps de son histoire, assez profondément modifiée? C’est une question toujours pendante. Mais quand cette question ne se poserait point, est-ce que peut-être on ne retrouverait pas dans l’histoire des religions de l’Inde, et en particulier dans la métaphysique ou dans la morale du bouddhisme, quelques-unes au moins de ces idées qui rangent Israël, d’après M. Renan, parmi les unira de l’humanité? Vers le même temps qu’en Israël Amos ou Isaïe prêchaient le « culte en esprit, » faisaient entrer la morale dans la religion, prenaient en main la cause du « faible et de l’opprimé, » Çakya Mouni, sur les bords du Gange, et, de l’un à l’autre bout de cette énorme péninsule de l’Inde, ses apôtres après lui ne répandaient-ils pas les mêmes enseignemens? Ou plutôt encore, cette solidarité de la morale et de la religion, dont M. Renan fait honneur aux prophètes comme de leur plus pure, de leur plus haute et de leur plus noble inspiration, n’est-elle pas en un certain sens le bouddhisme lui-même et le bouddhisme tout entier ?

Je propose la question, je ne la décide point. Mais alors, c’est-à-dire s’il y a question, la vocation religieuse d’Israël, toujours unique dans l’histoire de la civilisation occidentale, ne l’est-elle pas un peu moins, si l’on peut ainsi dire, dans l’histoire de l’humanité? Si quelque chose de ce qui s’est vu dans Jérusalem ou dans Samarie s’est également vu dans Kapilavastou, quelques parties de la prédication des prophètes, et les plus générales, — sans rien perdre assurément de leur grandeur ou de leur originalité, — ne perdent-elles pas un peu de leur singularité? Et, en tout cas, si ces ressemblances, moins étroites, plus illusoires peut-être que nous ne les croyons, n’empêchent pas la morale judaïque de différer encore beaucoup de la morale bouddhique, qui pouvait mieux que M. Renan les réduire à leur juste valeur?

Mais d’autres assertions et d’autres omissions m’étonnent davantage dans cette Histoire du peuple d’Israël. « Le vrai Dieu de l’univers, nous dit M. Renan, est établi pour l’éternité... Le progrès de la raison n’a été funeste qu’aux faux dieux... C’est la conviction que mon livre sera utile au progrès religieux qui me l’a fait aimer. » Et je voudrais le croire, ou même je le crois, puisque M. Renan me le dit, mais je ne comprends pas, et j’aurais ici besoin de quelques explications.