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fut un moment très malade ; le petit duc d’Albret était frêle et délicat. — Qui sait ? — Le dernier pas cependant eût été difficile à franchir ; du Vigean le père avait médiocre réputation, et sa femme était dans l’intimité, presque dans la dépendance de la duchesse d’Aiguillon. En somme, hors la pureté de la fille, c’eût été une triste alliance.

Comment expliquer la brusque conclusion du roman ? M. le Duc, qui n’obtenait de sa maîtresse que les faveurs du cœur, ne dédaignait pas le plaisir. Mlle du Vigean se crut-elle un moment délaissée ? S’aperçut-elle qu’il fallait renoncer à de trop hautes espérances ? ou fut-elle seulement ramenée par la grâce dans ce cloître qu’elle n’avait jamais oublié ?

Bien qu’elle ait attendu deux ans pour faire profession, son parti était pris dès 1645 ; sa sœur le savait[1]. Elle-même en fit le récit au duc de Rohan, qui avait été longtemps le confident de cet amour : « Après m’avoir, non sans verser beaucoup de larmes, entretenu trois heures des choses passées, elle me conta comment, au retour d’un sermon du père Desmares[2], elle avait brûlé vos lettres et même votre portrait ; ses résolutions pour l’avenir vont à la retraite, lorsqu’elle aura donné assez de temps pour qu’on n’accuse pas sa réputation et qu’on ne puisse dire que c’est un effet de la douleur et du dépit[3]. » La réputation de Marthe du Vigean ne souffrit aucune atteinte ; tous savaient que « jamais amour ne fut plus passionné d’une part, ni, de l’autre, écouté avec plus de conduite,

  1. Anne de Fors à son frère ; 7 juin 1647, A. C. (publiée par Cousin, Mme de Longueville). Marthe ne prononça les grands vœux qu’en 1649 ; mais elle était cloîtrée et postulante depuis 1647, Elle mourut en 1665.
  2. Oratorien et prédicateur fort écouté ; mort en 1687.
  3. Rohan à M. le Duc, 27 juin 1646 ; A. C. — Henri Chabot était alors marié et en possession de la duché-pairie de Rohan.