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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/734

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Quelques jours plus tard, le duc de Beaufort, accusé de complot contre la vie de Mazarin, était « logé au bois de Vincennes ; » ses amis, ses parens partaient pour l’exil. C’était la déroute des Importans, de la cabale des Guise, des Vendôme, de tous ceux qui relevaient la tête depuis la mort de Richelieu, de la faction rivale des Condé, y compris Mme de Chevreuse et l’ancien chancelier Châteauneuf, également détesté de Madame la Princesse, qui voyait en lui avec horreur le juge de Montmorency, et de M. le Prince, qui se rappelait les menées de l’abbé de Preaulx à Bruxelles au temps de « l’exil volontaire[1]. » Condé et sa femme étaient d’accord cette fois, ce qui n’arrivait pas toujours. À côté de cette royale amie dont elle recevait jadis les tristes confidences, et qui, d’un état voisin de la disgrâce, vient de passer subitement à la toute-puissance, la Princesse, aujourd’hui, se sent plus forte et laisse percer quelques velléités de révolte contre le « traitement » parfois « rude » de son époux[2]. La Régente elle-même a peu de goût pour M. le Prince ; mais leurs intérêts actuels se confondent et elle compte entièrement sur le duc d’Anguien, qui s’était offert à elle alors que Louis XIII respirait encore et que tout était incertain.

Dans cette première négociation avec Anne d’Autriche, M. le Duc eut pour intermédiaire un ami, un parent, dont nous n’avons pas encore prononcé le nom, car il n’était pas voué aux armes comme les compagnons habituels de Louis de Bourbon. Déjà âgé de plus de trente ans, Marsillac[3] avait à peine passé quelques jours à l’armée ; la guerre ne devait pas lui réussir ; il ne parut sur le champ de bataille que pour être mis aussitôt hors de combat[4]. Intelligence vigoureuse et profonde, doué d’une rare puissance d’analyse, avec du sang-froid, du courage, la plus illustre naissance, un état presque féodal[5], tous les agrémens de la personne, le futur duc de La Rochefoucauld apporte déjà dans ses entreprises

  1. Voir t. II, p. 309 et suivantes.
  2. Il faut avouer que le traitement de M. vostre père est bien rude ; il m’a chassé Dalmas sans aucun subject, » écrivait Mme la Princesse à son fils (21 août 1644, A. C.) ; quelques jours plus tard, Dalmas, soutenu par M. le Duc, reprenait sa place. C’était un « Gascon insinuant ; » après la mort de son mari, Mme la Princesse lui donna la capitainerie de Chantilly.
  3. L’auteur des Maximes, François VI de La Rochefoucauld, né en 1613, portait alors le titre de prince de Marsillac ; duc et pair en 1650, il mourut en 1680. — Son aïeul, François III, était beau-frère de Louis Ier, prince de Condé.
  4. En 1646, devant Mardick, coup de mousquet à l’épaule droite ; on le crut estropié. En 1652, au faubourg Saint-Antoine, coup de feu à travers la figure ; il resta presque aveugle.
  5. Les La Rochefoucauld possédaient d’immenses domaines dans le Poitou et l’Angoumois, et, comme les Plantagenet et les Lusignan, faisaient remonter leur généalogie à la fée Mélusine. C’était une des rares grandes familles qui avaient survécu à la guerre de Cent Ans.