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de la Reine, il avait aussitôt essayé de montrer aux Condé l’insolence de sa haine. Le Roi venait de rendre le dernier soupir ; entourée par la foule, suffoquée par la chaleur, Anne d’Autriche demande que tout le monde se retire. Le duc de Beaufort se trouvait près d’elle ; il relève aussitôt cette parole et, se tournant vers le premier prince du sang, l’invite à quitter la chambre. — « De quel droit me parlez-vous ainsi ? — C’est l’ordre de la Reine, et je saurai le faire respecter. »

Du coup, le petit-fils de Gabrielle d’Estrées espérait effacer l’irrégularité de son origine, monter au premier rang. Déjà populaire, les Importans l’avouaient pour leur chef ; M. de Beauvais, premier aumônier, qui se vit un moment ministre, était dans les mêmes intérêts ; la plus habile des intrigantes du siècle, on pourrait dire le plus infatigable des conspirateurs, Mme de Chevreuse, rentrait d’exil et comptait bien reprendre son influence sur Anne d’Autriche en s’appuyant sur le bras du futur « roi des Halles ; » fille d’Hercule de Rohan, elle inspirait et dirigeait l’amant de sa jeune belle-mère. Mais Mazarin mit bon ordre à toutes ces prétentions ; la façon dont il fit aboutir à son profit une intrigue ourdie contre lui est un chef-d’œuvre de dextérité. À l’ombre des lauriers de Rocroy, M. le Prince par sa prudence, Mme la Princesse par son assiduité, ses habitudes pieuses, modifièrent les dispositions de la Reine ; Beaufort demeura sans pouvoir, Mme de Chevreuse sans crédit. En outrageant Mme de Longueville, la duchesse de Montbazon avait cru tout à la fois servir l’ambition de ses amis et satisfaire ses rancunes de femme. Elle se trompait. On ne tarda pas à mettre les véritables noms sur les lettres ramassées[1], et les rieurs ne restèrent pas longtemps du côté de la duchesse. La Reine exigea une réparation publique : debout devant la princesse de Condé, Mme de Montbazon dut présenter ses excuses en lisant à haute voix un papier accroché à son éventail (8 août) ; les termes de cette satisfaction avaient été arrêtés « en conseil. » L’orgueilleuse duchesse tenta de se relever par une nouvelle impertinence[2], elle fut chassée de la cour,

  1. Elles étaient adressées par Mme de Foucquerolles au marquis de Maulevrier.
  2. Mme de Chevreuse avait offert à la Reine une collation dans le jardin de Renard, rendez-vous habituel de la société élégante ; elle avait assuré Sa Majesté que Mme de Montbazon n’y serait pas. La Reine arrive accompagnée de Mme la Princesse ; celle-ci aperçoit son ennemie, veut se retirer ; la Reine la retient et fait inviter Mme de Montbazon à sortir sous prétexte d’indisposition. Refus de la duchesse ; la Reine quitte la fête avec éclat. Le lendemain, Mme de Montbazon recevait l’ordre de se rendre dans sa maison de Rochefort (ordre du Roi du 22 août, A. G). — L’inimitié était de longue date entre ces dames. Dès 1642, les habituées de l’hôtel de Condé n’étaient pas priées à l’hôtel de Chevreuse, et réciproquement. — Rancé, le futur fondateur de la Trappe, était alors un des adorateurs de Mme de Montbazon j c’est lui qui l’assista quand elle mourut de la rougeole en 1657.