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l’abbé Bourdelot est le médecin écoulé, le familier, presque l’oracle de M. le Duc, qu’il séduit par ses théories, amuse par sa pétulance, rassure par ses soins intelligens. Bientôt il devient précepteur, puis laisse là son élève, le petit duc d’Albret, pour s’attacher à la reine Christine, qu’il suit à Stockholm et dont il bouleverse toute la cour. Il saura faire oublier ses témérités, ses désertions, ses bassesses ; on lui pardonnera jusqu’à ses airs de grand seigneur ; il retrouve ses amis, ses protecteurs des premiers jours, et finit par entrer à Chantilly ; Dangeau fera mention de sa mort.

L’allure, le ton, les tendances de ces nouveaux-venus ne devaient guère être du goût de M. le Prince, sans qu’il pût se plaindre bien haut, ces choix étant presque tous les siens. C’était à son insu, mais un peu par son fait que le nombre des « libertins » résolus avait grossi autour de son fils. D’ailleurs, s’il se méfiait des esprits forts, il les redoutait moins que les huguenots ; contre ceux-ci son antipathie est toujours en éveil, et il semble comme rassuré par les incidens qui ont rompu ou détendu les liens entre M. le Duc et les réformés, la mort de Coligny, le mariage de Châtillon, les querelles avec Ruvigny[1]. À la longue la rumeur publique arrive jusqu’à ses oreilles, et alors son mécontentement se traduit par ces boutades qui lui sont habituelles : « Il vaut mieux vous poignarder que de continuer la vie que vous menez[2] ! » Et vraiment, au lendemain des violentes émotions du champ de bataille, à la veille de nouveaux périls, n’échappant au poids de ces redoutables responsabilités que pour retomber dans les peines de cœur, Louis de Bourbon menait la vie assez vite. Le badinage licencieux allait parfois au point d’exciter la médisance ; les débauches étaient longues ; tout le monde n’y résistait pas. Espenan, venu en congé de Philisbourg, voulut faire le carnaval avec la bande joyeuse ; il fut vite enlevé[3].


HENRI D’ORLEANS.

  1. Ruvigny (Henri de Masqué, dit, le marquis de), fils d’un bon officier que Sully avait distingué, fut de bonne heure en relations intimes avec la femme et la fille du vieux ministre, et ne pardonna pas à Chabot, assurait-on, de l’avoir supplanté dans la faveur de Mlle de Rohan. De là sa querelle avec le duc d’Anguien, dont il avait été et dont il redevint plus ou moins l’ami. — Lié aussi avec Cinq-Mars, c’est lui qui, en 1642, avait décidé le grand-écuyer à faire visite à M. le Duc. — Homme de mérite et de courage, lieutenant-général en 1652, puis député-général des églises réformées, il joua un rôle important. Après la révocation de l’édit de Nantes, il se retira à Greenwich, où il mourut en 1689. Ses fils prirent du service en Angleterre, et y exercèrent de hautes fonctions.
  2. 18 août 1640. A. C.
  3. 17 mars 1646. B. H. V.