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A la fin, il se trouva que le médecin avait eu raison, parce que, tous comptes balancés, la vie qu’avait menée le personnage condamné avait été si peu de chose qu’elle équivalait à une non-existence. Je ne sais où j’ai lu cette anecdote à la Sterne, qui ferait bonne figure dans le Tristram Shandy, mais elle illustre de la manière la plus exacte l’histoire de William Collins. A chacune des périodes de sa vie, un observateur expérimenté aurait pu dire en le voyant agir et arranger ses plans littéraires : « Tout cela est bien, mais l’enfant ne vivra pas. »

Quoiqu’il puisse sembler presque ridicule d’appliquer à un si petit génie le grand appareil de ces influences de race et de milieu si fort à la mode aujourd’hui, il est deux circonstances que nous voulons noter comme pouvant expliquer dans une certaine mesure cette irrésolution de volonté et cette intermittence d’inspiration qui sont les marques de son caractère et de son talent.

La première de ces circonstances est un de ces détails physiologiques auxquels se complaisait Michelet. Collins naquit en 1721, à Chichester, d’un père chapelier dont il fut le dernier enfant. Il est remarquable qu’entre sa naissance et celle de la plus jeune de ses sœurs il y eut un intervalle de plus de seize ans, et que, par conséquent, sa mère le mit au monde à la veille même du jour où la nature allait mettre fin à sa faculté de procréation, après l’avoir suspendue si longtemps qu’elle semblait avoir voulu devancer la date normale de la période stérile. Qui sait si ce n’est pas dans cette naissance tardive, précédée de cette longue stérilité maternelle, qu’il faut chercher l’origine du germe maladif qui, se développant sous forme de disposition inquiète, après l’avoir rendu incapable de toute persévérance de travail et de toute constance de dessein, finit par engendrer la folie et le conduire à une mort quelque peu prématurée? Comme le caractère, le tour du génie put être déterminé par cette particularité. La nature ayant été en quelque sorte contrainte, rappelée au moment où elle se retirait, ne put donner que ce qu’elle donne aux derniers jours de l’automne, des choses exquises de déclin, des couleurs attendrissantes aux nuances délicatement variées, des rayons d’une lumière en quelque sorte purifiée, des clartés sans chaleur, des splendeurs de crépuscule. Cette hypothèse physiologique a-t-elle quelque vérité? Je ne sais ; en tout cas, elle n’est pas plus étrange que quantité de faits relatifs à la génération, qui sont d’occurrence fort ordinaire. Pourquoi les enfans des vieillards ont-ils généralement, avec une délicatesse physique qui confine à la faiblesse, une extrême pureté de tempérament? Pourquoi les aînés ont-ils d’ordinaire plus d’énergie physique, de vaillance charnelle que les enfans qui suivent? Et pourquoi les