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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/770

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ode, dithyrambe, épître familière. Quel que soit le sujet choisi, les images champêtres abondent sous sa plume, que ce sujet les réclame ou non. Il est idyllique d’instinct, inconsciemment ; quand il s’adresse au sublime, il le mène involontairement faire un tour à la campagne, et quand il s’attaque à l’héroïque, il le conduit dans la solitude pour qu’il parle de plus près à son cœur. Peut-être faut-il voir dans cette tendance invincible un effet du germe maladif qui était en lui ; il n’y a de tels pour être affamés de silence et de repos que les inquiets et les inconstans : c’est l’antidote que discrètement leur propose la nature. Et, d’autre part, qui ne connaît par expérience personnelle cette image illusoire de la vie qui se produit chez tout jeune homme au moment de l’adolescence ? Or cette image est fort différente selon les individus : là où il y a pleine santé et force joyeuse, l’illusion hardie, hautaine, prend des formes de gloire bruyante ou de brillante mondanité ; là au contraire où couve la mélancolie, cette illusion est un rêve de tendresse au sein de la solitude, de bonheur secret sous une lumière sans violence, de pureté et d’innocence. Il est aisé de deviner à laquelle de ces deux formes d’illusion l’imagination de Collins aima de préférence à croire.

Cet élément pastoral qui s’insinue partout dans Collins, et fait à son insu l’unité charmante de son œuvre, ne s’est exprimé pleinement et volontairement qu’une seule fois, dans ses Eglogues orientales, dont la nature lui souffla l’idée dès la première heure de son inspiration, lui nommant ainsi le genre pour lequel il était doué avant tout. Depuis la traduction des Mille et une Nuits, l’Orient était à la mode tant en France qu’en Angleterre ; on sait le parti qu’en surent tirer nos philosophes et nos romanciers, combien il rendit d’oracles de tolérance pour le compte de Montesquieu et de Voltaire, et par combien de thèses subtiles de sérail il aida l’érudition libertine de Crébillon fils à édifier cette sophistique du cœur que nous présentent ses romans, tandis qu’en Angleterre, ramené à un enseignement plus modeste, il se bornait, sous la plume d’Addison, dans le Spectator, et sous celle de Johnson dans l’Idler et le Rambler, à enseigner les devoirs du chrétien patriote ou à préconiser les vertus de l’anglican conservateur. Mais quoiqu’un vers de la Dunciade nous montre Philips rimant une histoire persane pour un petit écu, le bénéfice de cette mode avait été beaucoup plutôt pour la prose que pour la poésie, en sorte que la première originalité des Eglogues de Collins est d’être une des seules œuvres du temps où cette mascarade orientale ait emprunté le secours du rythme, et de rester la meilleure, la plus suave et la plus innocente de toutes ces turqueries et persaneries.

Le plan en est extrêmement ingénieux et d’une réelle nouveauté.