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d’Ophélia et autres héroïnes, et de cette marqueterie exécutée avec adresse il sort tout naturellement une manière d’idylle sentimentale de la plus gentille mélancolie.

Mais c’est dans les Odes que cette aptitude innée révèle le mieux ce qu’elle avait d’invincible. Beaucoup ressemblent à des brouillons d’idylles, comme l’Ode à la simplicité, par exemple. Dans d’autres, de courts fragmens de pastorales se sont introduits tout naturellement, si naturellement qu’on ne songe pas d’abord à remarquer qu’ils ne sont pas en accord bien exact avec le sujet ; voyez l’Ode à la terreur, où il mêle aux souvenirs d’Eschyle et de Sophocle les spectres des cimetières et les lutins des campagnes d’Angleterre. Les personnages de ces odes sont allégoriques, la pitié, la terreur, la simplicité, la clémence, la paix, la liberté, le soir, les passions, etc. D’ordinaire les allégories sont volontiers grandioses, ici elles se sont rapetissées à la stature de fées naines et d’elfes minuscules. Nymphes, vierges, souriantes fiancées, les appelle-t-il selon la formule convenue pour les invocations poétiques adoptée par tous les poètes du temps ; mais ici ces expressions, surtout la première, n’ont rien de conventionnel et sont les noms véritables de ces êtres abstraits qui ressemblent à de gracieuses apparitions de la solitude. Voici la Chasteté, nymphe soupçonneuse ; la Gaîté, nymphe au teint éclatant de santé; l’Espérance, fée au beau sourire, qui dénoue ses cheveux d’or, la Pitié, vierge aux mains humides de baume, aux yeux de rosée lumineuse; la Simplicité, nymphe à la modeste franchise qu’il implore par tout le thym et toutes les bruyères de l’Hybla ; le Soir, nymphe pensive dont les ondées du printemps baignent les tresses soulevées par les brises, dont l’automne remplit le sein de feuilles et dont l’hiver déchire brutalement les robes ; la Terreur, nymphe insensée, qui, pareille aux folles de village, court le long des précipices et escalade les pics où habite le vertige et que hantent seuls les somnambules. Le milieu dans lequel se meuvent, glissent, flottent et volent ces allégories à physionomie rustique est en étroite harmonie avec leur caractère. C’est d’ordinaire un paysage sans rien de vague, mais toujours tout aimable dans sa mignonne précision ; une plaine légèrement ondulée, ou une vallée au pied de collines modestes, traversée par quelque courant limpide, un séjour fait à souhait pour les petits dieux champêtres. Partout des indications de petits temples, grands comme des chapelles rustiques, de grottes à la sonorité mélancolique, d’ermitages, asiles de vertus obscures, de tertres funèbres, sous lesquels dorment d’humbles héros; une miniature d’Arcadie d’où surgissent en abondance des images de paix, de repos et de silence.

Et il communique à tous les sentimens que ces allégories représentent, quels qu’ils soient, cette douce contagion idyllique. Il est,