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avoir avec le triomphe de la démocratie. N’est-ce pas le triomphe de la nature? Quant aux constructions de villes, de monumens, de chemins de fer, etc., les Américains ne les doivent qu’à eux-mêmes. Ils ont le droit de s’en glorifier personnellement. C’est le triomphe du travail sans épithète. En quoi des ports, des canaux, des ponts et des viaducs démocratiques se distinguent-ils des autres?

Dans les comparaisons avec l’Europe, et surtout dans les parallèles entre les États-Unis et l’Angleterre, on oublie trop de noter combien diffèrent pour les deux pays les conditions essentielles d’existence. Le système aristocratique et monarchique anglais est tenu de recourir à des combinaisons économiques compliquées et délicates, pour faire vivre une population de 36 millions d’habitans sur un sol qui peut en nourrir à peine la moitié par ses produits naturels indigènes. Le système démocratique américain est chargé de la tâche facile de laisser vivre et se développer spontanément un peuple de 60 millions d’hommes dans de vastes et fertiles contrées qui pourraient aisément en alimenter plus du double. Sans déprécier le mérite de leur succès, on reconnaîtra que les Américains avaient la partie belle.

Voici même qu’ils se plaignent de réussir trop. L’excès des richesses les incommode. Un gros excédent annuel de recettes encombre depuis quelque temps les caisses du gouvernement de l’Union, qui ne sait que faire de cette surabondance de biens[1]. La dette nationale se paie trop vite et l’or s’accumule inutile dans les caves du trésor fédéral, au préjudice des banques et des affaires privées. L’erreur plus ou moins intéressée du Bland bill au sujet de la frappe obligatoire du dollar d’argent, « le dollar de nos pères,» dont personne ne veut, aggrave la pléthore monétaire des finances nationales.

Aussi était-ce un véritable cri d’alarme sur l’embarras des richesses

  1. La moyenne de cet excédent, depuis quelques années, est d’un demi-milliard de francs environ. Pour l’exercice courant, 1888-1889, l’excédent serait, dit-on, beaucoup plus faible : à peine atteindrait-il 130 millions de francs. Mais, d’autre part, les dépenses ont été majorées d’une année à l’autre de 490 millions environ. Au profit de qui ou de quoi cet excédent subit de dépenses qui correspond à l’excédent habituel des recettes’? Comme contre-partie de la prospérité exubérante des finances nationales, la gêne financière est très grande dans les états particuliers, dans les comtés, les villes, etc. Les contribuables y sont écrasés d’impôts, qui pèsent principalement sur la propriété foncière. Les dettes locales et municipales, presque insignifiantes il y a cinquante ans, s’élevaient déjà, en 1880, d’après le recensement général, à 4 milliards 110 millions de francs, et, en 1886, à 5 milliards 300 millions. (Voir William H. Jones, Federal taxes and State Expenses. New-York, 1888, et Henry Adams, Public Debts. New-York, 1888.)