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que le président poussait naguère dans son message. Il suppliait lamentablement le congrès de délivrer le gouvernement fédéral du poids écrasant de ses économies. Enlacé comme un nouveau Laocoon par l’hydre sans cesse renaissante du hideux surplus, M. Cleveland appelait au secours.

L’exécutif ne se bornait pas à exposer les inconvéniens imprévus de l’opulence budgétaire, il offrait un remède et invitait les chambres à l’étudier. Son projet, qui consistait, on le sait, à diminuer le surplus et l’encaisse métallique par une réduction notable des droits de douane, galvanisa les vieux partis politiques atteints d’anémie. Sous une forme incidente, suivant l’usage américain, reparaissait l’éternelle question de la protection et du libre échange, libre échange mitigé d’ailleurs, tel que ses partisans mêmes le comprennent aux États-Unis. Le terrain sur lequel devait se livrer la bataille du scrutin présidentiel se trouvait dès lors indiqué,

jadis et jusqu’à nos jours, la querelle des tarifs douaniers avait divisé le pays en deux sections très nettes. Les républicains du Nord et de l’Est, où se concentraient le commerce et l’industrie, étaient des protectionnistes déterminés. Les démocrates, qui dominaient dans le Sud agricole, exportateur de coton, et dans certains états de l’Ouest, exportateurs de blé et de viande, se ralliaient presque totalement à l’opinion libre-échangiste. Quoique cette ancienne classification subsiste encore aujourd’hui dans ses grandes lignes, des intérêts nouveaux l’ont modifiée sensiblement. Les deux doctrines opposées comptent des adhérens plus ou moins nombreux dans chaque parti. L’industrie du Sud et de l’Ouest a fait des progrès. Puis d’importantes questions de monopoles et autres se sont greffées sur la question principale.

Tout d’abord, le groupe nombreux des politiciens ne verrait pas sans une amère douleur diminuer les gros excédens du trésor, dont le numéraire amoncelé se prête, sans effet trop marqué sur la masse, à toutes sortes de combinaisons, de grapillages, de corruptions et d’entreprises qui profitent largement au parti détenteur du pouvoir. Le dégrèvement des tarifs affaiblirait notablement les recettes annuelles de la douane, évaluées à 1 milliard de francs environ. Une poule aux œufs d’or de ce calibre trouvera toujours d’acharnés défenseurs.

De leur côté, les ouvriers industriels, qui avaient paru pencher un instant vers le libre échange, sous l’impulsion de M. Henry George, sont redevenus pour la plupart aussi protectionnistes que les patrons. Ils craignent qu’avec l’unité télégraphique du globe, le régime de la concurrence universelle par le bon marché des produits ne fasse bientôt tomber le prix du travail producteur aux plus