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Pour l’Angleterre, la victoire ou la défaite pourrait être une question de vie ou de mort.

On remarquait naguère en haut lieu que les différentes colonies anglaises ne tenaient à la métropole que par un fil, facile à couper. Qu’arriverait-il si ce fil était coupé en effet, et si la Grande-Bretagne, privée de la pension alimentaire que lui fait sa servante indienne, n’avait plus de débouchés pour y placer les produits de son industrie? Elle serait prise par la famine, et ses nombreux artisans n’auraient plus d’autre ressource que l’émigration, qui prend déjà des proportions inquiétantes.

Avant de se voir exposée à tomber au rang d’une Hollande modeste et proprette dans son (honnête aisance bourgeoise, mais ne comptant plus guère parmi les puissances, l’Angleterre trouvera bien moyen de s’entendre avec les États-Unis. Entre ces deux peuples consanguins, les rapports actuels manquent un peu de cordialité; on constate certaines susceptibilités d’amour-propre, jointes à des conflits d’intérêts matériels immédiats. Par ses exportations de blé et de matières premières, comme par sa population irlandaise, l’Amérique pénètre assez avant dans les affaires de la Grande-Bretagne. Celle-ci, de son côté, par le Dominion canadien, par l’émigration, par le monopole de la navigation à vapeur, par la prépondérance de son commerce et de ses banques, se trouve profondément mêlée aux préoccupations des Américains. Cette réciprocité d’influences amène des malentendus passagers, des jalousies de famille, que des concessions mutuelles apaiseront, quand l’avantage commun l’exigera. La similitude des tempéramens, l’atavisme social, politique et religieux, contribueront puissamment à resserrer les liens de parenté rompus il y a un siècle, à l’aide de Français libéraux et chevaleresques que le roi Louis XVI se permit d’envoyer, avec La Fayette et autres marquis, prendre une éclatante revanche de la perte du Canada.

M. Gladstone tire hardiment l’horoscope de l’union future, à laquelle son retentissant article sur « les cousins d’outre-Mer» avait déjà fait quelque allusion. « Nous voyons, dit-il, se dessiner dans le lointain la plus séduisante perspective pour tout Anglais et tout Américain, celle d’une influence morale puissante ou même souveraine qui peut, sans être cherchée, échoir avant un siècle à notre race anglo-saxonne, grâce à la prépondérance de sa force numérique toujours croissante, ainsi qu’à son active et pénétrante énergie dans l’ordre matériel et mental des choses[1]. »

  1. Universitas hominum, par R.-H. W. Gladstone, M. P., the North American Review, décembre 1887.