Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pleuré au récit des souffrances de Silvio Pellico ? La France prenait alors en main la défense des opprimés ; ses portes s’ouvraient à tous les proscrits, aux Lombards, aux Piémontais et aux Napolitains. Elle les adoptait, elle les assistait, heureuse d’adoucir l’amertume de leur exil. Pouvait-elle prévoir qu’un jour viendrait où ceux qui lui sont redevables de leur affranchissement, du droit d’écrire, de parler, d’affirmer la liberté, de revendiquer l’égalité, la poursuivraient, sans vergogne, de leur animosité ? On ne s’explique pas qu’une nation généreuse, courtoise, toujours prête à se sacrifier, à transiger avec les intérêts d’autrui, puisse être l’objet de haines implacables. Ses travers sont grands sans doute, mais ils ne sont pas de nature à faire oublier ses qualités et à justifier un pareil déchaînement. Nous récoltons ce que nous avons semé ; le principe révolutionnaire des nationalités se retourne contre nous, il est devenu l’auxiliaire de politiques habiles et sans scrupules, qui s’en font une arme pour nous affaiblir et nous paralyser. « L’Europe s’est transformée, elle ne sacrifie plus aux aspirations généreuses ; elle a changé de maître, elle a substitué à un empire débonnaire, poursuivant la fraternité universelle, un empire réaliste qui, suivant l’expression de Montesquieu, « ne stipule rien pour le genre humain, » mais subordonne tout, la paix, la liberté et jusqu’aux considérations d’humanité, aux intérêts de sa domination[1]. »

Napoléon III voulait l’affranchissement de l’Italie, mais il ne croyait pas à son unité. « Il suffit de regarder la carte, disait-il au comte Arèse, pour voir que sa configuration géographique ne comporte pas sa centralisation. » Victor-Emmanuel et le comte de Cavour n’entrevoyaient eux-mêmes, au début, qu’une confédération d’états dominée par l’Italie septentrionale, comme le roi Guillaume et son ministre ne songeaient qu’à former une grande Prusse. Ce sont les défaillances de notre politique et notre impuissance militaire, au mois de juillet 1866, qui leur ont permis d’élargir leurs desseins et de les réaliser.

L’Italie constituée, mais divisée en trois groupes confédérés, on dédommageait l’Autriche sur le Danube de la perte de la Lombardie et de la Vénétie ; l’expansion de la Russie était favorisée dans le monde oriental, et la Prusse, en échange de la reconstitution de nos frontières de 1814, comblait les solutions de continuité de son territoire entre ses anciennes et ses nouvelles provinces, aux dépens du Hanovre et de la liesse. L’Allemagne, comme la péninsule, était partagée en trois tronçons ; une union étroite des petits royaumes devait contre-balancer l’influence des deux grandes puissances allemandes au sein de la confédération germanique. Un

  1. La France et la politique extérieure en 1867.