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les œnolines sont entraînées, tandis que les teintures persistent inaltérées. Après traitement et filtration, on recueille une liqueur parfaitement décolorée si le vin est naturel, une décoction teinte en rouge ou en rose s’il a été falsifié. Souvent l’excès de la base employée comme réactif a pour effet de dissimuler provisoirement la nuance pourpre du dérivé artificiel, mais elle reparaît au moyen de quelques gouttes d’acide sulfurique.

Il ne faut pas perdre de vue que certains crus naturels (celui de jaquez. par exemple) se comportent en pareille circonstance comme si leur nuance était factice. Aussi est-il toujours indispensable d’essayer de teindre un flocon de laine blanche avec le liquide obtenu au moyen des opérations que nous venons d’indiquer. Enfin la laine arrosée d’ammoniaque doit se décolorer ou rester rouge. Si elle verdissait un peu, le praticien aurait affaire à un vin pur de constitution anormale ou, beaucoup plus probablement, à une boisson ingénieusement falsifiée par une teinture tricolore jaune, bleue et rouge[1] ; mais jamais un chimiste sérieux n’établira son opinion sur une seule expérience; il répétera plusieurs fois ses épreuves analytiques, en variant les nombreux réactifs dont il dispose : borax, carbonate de soude, etc.[2].

Dans certaines régions de l’Europe où la culture de la vigne, bien que voisine de sa limite, prospère encore, en Suisse, dans le centre et à l’ouest de la France, on récolte surtout du vin blanc dont la vente est facile, lorsque la qualité en est passable. Mais souvent les gens du pays ou les négocians trouvent plus avantageux de travestir ces liquides en vin rouge, en les teignant avec les divers agens colorans artificiels ou en les mêlant à des vins rouges très foncés. Cette dernière pratique mérite plutôt le nom de coupage que celui de falsification ; elle n’en est pas moins blâmable. Dans le premier cas, la tâche de l’expert est facile, car le défaut de tannin, d’une part, est un indice certain, et, d’autre part, l’excès de teinture rend les essais colorimétriques très nets ; aussi les fraudeurs préfèrent-ils combiner les deux procédés.

On a vendu quelquefois du cidre et du poiré pour du vin blanc. Cette grossière tromperie ne saurait échapper, nous n’osons dire à un dégustateur, mais même à l’immense majorité des consommateurs. De plus, un chimiste, après avoir constaté par l’aréomètre

  1. L’alcali détruit le principe rouge et ne laisse subsister que les colorans bleu et jaune, qui, mélangés, paraissent verts.
  2. M. Gautier étudie simplement la nuance des taches produites par quelques gouttes de vin suspect versées sur un bâton de craie enduit d’albumine ou blanc d’œuf. Il affirme avoir obtenu d’excellens résultats par ce procédé, qu’on ne saurait pourtant recommander à un novice.