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d’un rayon polarisé à s’incliner vers la gauche de l’observateur. Nous savons que ce caractère n’est pas absolument spécial aux liquides dont nous parlons, et que certains crus du Rhin, même excellens (le Johannisberg est du nombre), sont également « lévogyres. » Mais la confusion est impossible ; aussi, quand un vin marchand « tourne à gauche, » on peut être certain qu’il n’a pas été obtenu tout entier avec du raisin frais.

En dépit de leur saveur sui generis, que ne saurait méconnaître un palais exercé, les liquides fabriqués avec des raisins desséchés n’ont rien de positivement malsain, sous la réserve expresse que ces mêmes raisins n’aient pas été mélangés de figues ou de caroubes. De plus, en France aussi bien qu’à l’étranger, on provoque la fermentation des fruits en les noyant dans un fort excès d’eau, et, une fois l’opération chimique terminée, on vine largement le tout avec de la mauvaise eau-de-vie. Il est superflu de faire ressortir l’inconvénient de ce procédé. En résumé, les vins de raisins secs ne sont pas des vins, dans la véritable acception du mot : ce sont des piquettes, c’est-à-dire de simples boissons de ménage, impropres au commerce en gros, et susceptibles tout au plus d’être détaillées sous leur véritable nom. Autant il serait injuste de méconnaître les services qu’elles ont pu rendre autrefois dans certains départemens, comme succédanées des vins, alors que ceux-ci étaient rares, autant il serait absurde de favoriser leur importation aux dépens des vins nationaux, incomparablement plus salubres, et dont la production est déjà suffisante pour alimenter notre pays.

Nos lecteurs partageront-ils les sentimens que nous éprouvons nous-même, après avoir résumé les traits principaux de la chimie œnologique? — Cette science, presque uniquement fondée sur les recherches de nos compatriotes, est éminemment française par son origine et ses développemens. Les conclusions qu’elle propose se trouvent absolument conformes aux intérêts des propriétaires petits ou grands, des commerçans honorables, aussi bien que des prolétaires consommateurs. En prescrivant aux uns une fabrication loyale, en détournant les autres de certaines pratiques, elle contribue à défendre la santé et la bourse du peuple des villes, empoisonné par les sophistiqueurs nationaux ou étrangers. — N’est-ce pas là le plus bel éloge qu’on puisse en faire?


ANTOINE DE SAPORTA.