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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/926

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ne pouvaient plus venir entendre la 7nesne à Portbail en Cotentin[1]. » Ces italiques de l’auteur ont une apparence de document; mais si on fouille l’histoire et si on va chercher dans la Gallia christiana la charte de donation de Pierre de Pratel à l’abbaye de Val-Richer, on ne trouve rien de semblable. Le seigneur donne l’île d’Écrehou au couvent afin qu’on y bâtisse une église, à charge de prier pour son âme, pour celles de ses parens et de ses ascendans. On ne dit même pas que l’île fût habitée ! — Quant aux forêts dont on a plusieurs fois, à marée basse, retrouvé les racines sous-marines sur le littoral de la Normandie ou des îles normandes, elles proviennent d’affaissemens du sol à diverses époques de l’histoire, et souvent même dans les temps modernes. C’est ainsi que la forêt de la Breguette, dont on a plusieurs fois retrouvé les vestiges dans la baie de Saint-Ouen, à Jersey, a été submergée par l’inondation de la mer en 1356.

Quoi qu’il en soit de ces origines historiques ou plutôt géologiques, l’archipel faisait partie du duché de Normandie. Mais les ducs de Normandie, devenus rois d’Angleterre avec Guillaume le Conquérant, se sentaient trop puissans pour être de fidèles vassaux de leur suzerain le roi de France. La guerre sortit bientôt de cette rivalité. Au commencement du XIIIe siècle (1204), Philippe-Auguste prononça la confiscation du fief, conquit toute, la Normandie continentale et la réunit à la couronne. Le duc Jean (c’est en Angleterre le roi Jean-sans-Terre) se maintint dans les îles, dont Philippe-Auguste ne put s’emparer. De cette époque date la séparation de fait. Un peu plus tard, dans un traité conclu, en 1259, entre Louis IX de France et Henri III d’Angleterre, ce dernier reconnut tenir ces îles en fief du roi de France et de ses successeurs. Elles restèrent fief français jusqu’au traité de Brétigny (1360), qui affranchit le roi d’Angleterre de la suzeraineté française. Ce dernier devenait souverain des îles, et tout lien était désormais rompu, de droit comme de fait, avec l’ancienne métropole.


C’était pour les rois d’Angleterre une importante possession, surtout quand ils régnaient en Guyenne et dans plusieurs provinces de la France du sud-ouest. C’était un lieu de refuge pour leurs navires; et plus tard, dans ces guerres qui, jusqu’à notre siècle, font la trame de l’histoire de France et d’Angleterre, les îles du Cotentin fournissaient aux Anglais une place d’armes et de ravitaillement, une base d’opérations contre la Normandie et la Bretagne. Les rois de France n’en avaient qu’un désir plus ardent, moins de reconquérir

  1. R. P. Ch. Noury, Géologie de Jersey. Paris, 1886, p. 149.