Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après, une statue du Bouddha est renversée aux pieds d’un mendiant brahmanique qui l’insulte et la met en pièces. Açoka ne se contente pas de venger l’attentat sur son auteur, ses biens et sa famille; il met à prix la tête de tous les ascètes brahmaniques. Vitâçoka, épuisé par la maladie et l’austérité, vêtu de quelques lambeaux, avait justement reçu asile dans la cabane d’un pâtre. Ses hôtes le prennent pour un mendiant brahmanique, le tuent et apportent sa tête à Açoka. Alors seulement le roi, reconnaissant son frère, désespéré, arrête le massacre et rend la sécurité à tous.

La légende suit Açoka jusqu’à ses derniers momens. Le roi sentait approcher sa fin. Il avait donné ou dépensé pour la religion, en monumens ou en aumônes, 96 kotis (960 millions) de pièces d’or, 4 de moins qu’il ne s’était promis de faire, et sa tristesse était immense au moment de quitter les saints représentans de la religion. Il se reprit à envoyer de l’or et de l’argent aux moines. Son petit-fils Sampadin était son héritier présomptif ; averti par les ministres, effrayé des prodigalités de son grand-père, il défend au trésorier de délivrer aucun argent. Le roi envoie alors aux religieux la vaisselle précieuse dans laquelle on lui sert ses repas ; il est réduit à des vases d’argile. Il ne lui restait plus que la moitié d’un fruit d’amalaka. Il se plaint du dénûment où il est tombé, y reconnaît une preuve nouvelle de la vérité des paroles du Bouddha sur l’instabilité et la misère des biens terrestres, puis il envoie cette moitié de fruit au clergé, qui se partage avec respect l’humble présent.

Cependant Açoka s’adresse encore une fois à Râdhagoupta, son ministre : « Quel est, lui demande-t-il, le souverain du pays? — C’est toi, seigneur, lui répond le ministre en se jetant à ses pieds. » Le roi, alors, fait au clergé une donation suprême de la terre tout entière, de sa famille, de sa personne, ne réservant que les restes de son trésor. Ce fut son testament. Il mourut à ce moment même. Et son successeur Sampadin dut racheter des religieux, au prix de 4 kotis de pièces d’or, la terre qui venait de leur être offerte.

Pour la plupart, ces récits se condamnent d’eux-mêmes : ils ont tout le merveilleux naïf du conte, sa sérénité imperturbable dans l’absurde; les êtres surnaturels s’y meuvent de plain-pied ; ils se jouent dans les nombres fantastiques ; le temps, l’espace, sont pour eux sans obstacles; nulle proportion entre les causes et les effets; partout le caprice incohérent, les sauts imprévus, le merveilleux pour dénoûment. Sans peine on y suit les développemens arbitraires, les versions divergentes d’une même donnée générale librement mise en œuvre, transposée à des momens divers. Ce n’est pas là de