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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/123

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montre pas seulement légiste; il a son libre penser et son franc parler comme toujours sur plus d’une question importante. Ainsi il censure la multiplicité des procès, celle des officiers et gens de justice, la négligence de la noblesse à remplir les fonctions judiciaires, et sur ces sujets comme sur d’autres d’une portée générale, dont nous aurons occasion de dire un mot, il s’exprime avec l’autorité incontestable d’un esprit réfléchi. Ce n’est pas qu’il n’ait ses partis-pris, ses idées préconçues et tenaces. Il va chercher les titres primitifs de la classe noble, dans l’épître au lecteur de ses Propos rustiques, jusqu’au fond des sociétés primitives, lorsque l’âge de la simplicité et de la paix est remplacé par l’état de guerre. Chez ces hommes à demi sauvages, les plus frivoles prétextes suffisaient pour faire naître des combats : si, par exemple, dira-t-il avec une familiarité assez comique, « si Marion riait plus volontiers à Robin qu’à Gautier, ou si l’un (pour se vêtir) avait meilleure peau que l’autre, ou si par adventure l’un avait mangé le gland, tandis que l’autre s’était donné la peine de secouer l’arbre. » Ces combats « à beaux coups de poings, de bâton et de pierres » entre individus ou tribus firent établir des chefs guerriers, entourés de vaillans hommes, lesquels ne demandaient qu’à payer de leurs personnes, et semblaient aller au-devant du péril. En échange, ils stipulèrent des immunités et des privilèges. Au-dessous, il aperçoit une classe inférieure en force, en valeur, en capacité, classe de vilains qu’il regarde comme naturellement fuyarde, intéressée au gain, ayant en un mot le cœur moins haut. S’il ne remonte pas jusqu’à de telles origines « préhistoriques » dans son recueil d’Arrêts, les titres puisés dans l’histoire qu’on attribuait à la noblesse lui suffisaient pour qu’il la plaçât à une grande hauteur. Il n’y a pas lieu de s’arrêter beaucoup à ces idées peu approfondies ; mais ce qu’il faut retenir, c’est que l’auteur des Propos rustiques ne veut pas qu’on en tire des conclusions trop dénigrantes pour la classe rurale. Il accuse les historiographes des princes d’avoir été ingrats pour les rustiques. Il exalte leurs utiles services et rend justice à leurs qualités; il rappelle les Romains illustres qui ont loué et pratiqué la vie rurale, et célèbre les paysans « bons laboureurs » appelés de leur charrue « pour prendre l’administration de républiques fortes et puissantes, desquels la mémoire tant durera que seront en vigueur charrue, soc, coultre, fouet et limon. » — « Que si nous regardons en quoy principalement estoit la richesse de l’antiquité, nous ne trouverons que bœufs, vaches, moutons, etc. » Bref, un complet éloge de l’agriculture !

La vie privée de Noël Du Fail posait quelques questions intéressantes. Avait-il été marié? Que pouvait-on savoir ou conjecturer sur la partie de sa vie qu’il passait à la campagne ? Il paraît que le premier