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détournée des paysans misérables, qui ne manquaient pas pourtant, même dans cette partie plus aisée de la Bretagne. C’est cette moyenne aisée qu’il se complaît à peindre, et sur laquelle nous lui demanderons encore de nous offrir quelques-uns de ces traits saisissans de ressemblance qu’il prodigue comme en se jouant.


III.

L’esquisse des mœurs telle que nous venons de la voir laisse, en effet, subsister quelques questions qui touchent à la condition des campagnes, et, par exemple, d’abord celle qu’on agite aujourd’hui avec une sorte de curiosité passionnée pour en tirer des conclusions plus générales sur l’ancien régime, à savoir si l’instruction était ou non répandue, et si elle comptait dans l’estime des ruraux. Sans demander à ces légers et ingénieux croquis plus qu’ils ne peuvent prouver, on a chance d’y recueillir des données exactes et véritablement significatives. Le maître d’école a sa place dans cette galerie. Il s’en faut qu’il y fasse figure de subalterne dédaigné. C’est presque un personnage. La considération dont il jouit n’a de supérieure que l’importance qu’il s’attribue. Il est de toutes les fêtes et de toutes les cérémonies : « S’il y a noces, monsieur le maître y sera; un mortuaire, il y chantera. » L’auteur ajoute même : « S’il y a commères, il y friponnera. » Mais la gravité, accompagnée de quelque suffisance, et l’habitude de morigéner, forment le caractère dominant du personnage[1]. Il n’est pas toujours non plus un rustre sachant tout juste ce qu’il faut enseigner aux enfans, quand il le sait. Il est parfois au courant des livres en vogue. Tel est maître Huguet que nous avons déjà rencontré. Il nous est apparu un livre à la main. C’est chez lui une habitude. Que lit-il donc? On veut bien nous l’apprendre. C’est le Calendrier des bergers, sorte d’almanach fort à la mode, ce sont les Fables d’Ésope traduites, le Roman de la rose, quelques autres encore. M. de La Borderie part de là pour affirmer qu’on savait lire et qu’en fait on lisait dans les campagnes plus qu’on ne le croit généralement. Il rappelle que chaque paroisse avait son maître d’école. La même opinion compte des partisans très érudits. Elle me paraît, sans être d’une vérité aussi absolue, aussi universelle qu’on a l’air de le prétendre, démontrée du moins dans certaines régions et pour des périodes déterminées, durant lesquelles l’on constate, autant que cela est possible, un nombre de gens sachant lire beaucoup plus grand qu’on n’était naguère disposé à l’admettre. Seulement, les lumières étaient,

  1. Contes d’Eutrapel, chap. XVI.