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plaît de faire dire à ces domainiers « qu’ils ne le retiendroient pas trop (ce métayer) et qu’ils auroient bien davantage de leurs terres s’ils prestoient l’oreille à ce qu’on leur propose. » Ils demandent à chaque renouvellement de ferme 100 écus pour le pot-de-vin et une année d’avance. Le fermier, « qui pétille de peur que tel marché lui eschappe, a bien tôt conclu sa ferme... Chacun pense en ceci avoir trompé son compagnon ; le fermier, syllogisant sur ses doigts : il y a pour gagner tant pour cent ; » et l’autre, « satisfait d’empocher cette dragée, laquelle se fait tant chercher. » Ces petites ruses n’empêchent pas que leurs intérêts à tous les deux ne soient d’accord : « Quand un fermier gaigne honnestement, sans gaster et défricher la terre, il fait son profit et celuy de son maistre, duquel mesme il est aimé. » Si sage et si honnête que soit cette conclusion, il semble que cette lutte au plus fin amuse notre vieil auteur qui se garderait bien de laisser échapper cette occasion de mettre à nu la nature et l’humeur du paysan : vrai plaisir d’artiste pour celui qui joue ce jeu et pour l’observateur qui se délecte à nous le montrer. Ces gens, qui « prennent plaisir aux petites joyeusetés et tromperies qu’ils s’entrefaisoient, » sont en effet comme des joueurs qui passent le temps à chercher à s’attraper et à cacher leurs manèges de leur mieux ; mais, une fois la mèche éventée, ils se mettent à rire, tout prêts à recommencer à nouveaux frais. C’est encore là un des aspects de « l’esprit de malice au bon vieux temps. »

Nous avons vu le paysan, surtout dans la condition aisée. Il ne nous reste plus qu’à pénétrer sous son toit et à visiter sa demeure. Du Fail nous y introduit, par un beau jour d’été, à la suite de deux interlocuteurs de son Eutrapel. L’invitation à s’y rendre, faite par un des deux amis, est d’une gaîté charmante. On dirait quelque chant d’alouette au matin : « Voilà le soleil, qui jà ayant descouvert la cime du tertre du Saint-Laurent et voltigé sur la chesnaie du Bon-Esprit, nous invite à sortir hors et nous essorer. » Ils arrivent à la demeure d’un bon vilain. Tout rit dans cette description : une jolie cour sert d’entrée, close de beaux églantiers et d’épines blanches. La couverture est de paille et de joncs entremêlés. Le jonc vert, et qui n’a aucunement pâli, donne un merveilleux lustre au chaume ; jusque sur le faîte croissent les herbes et fleurs champêtres. Mais ces agréables détails n’ôtent rien au caractère de réalité de cette ferme bretonne. On en fait l’inventaire, on nous montre « le beau fumier qui est à l’entrée. » Les ustensiles du travail sont énumérés. La description presque technique de l’architecture rurale est de la plus grande précision. Nous voyons comment, en évitant les ornemens et le