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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/164

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religieuse, la tolérance, l’ordre civil établi par la révolution (mariage, état civil, droits des protestans, etc.), et enfin par le concordat, qui avait établi une sorte d’alliance entre les deux pouvoirs, mais non la subordination de l’un à l’autre, ou même qui avait mis le pouvoir civil dans une condition de protecteur, plutôt que de serviteur obéissant. Mais indépendamment de ces nécessités de l’ordre nouveau, la royauté elle-même avait encore dans ses propres traditions des raisons de ne pas s’abandonner entièrement au pouvoir ecclésiastique. Aussi, malgré les attaches religieuses du gouvernement des Bourbons, s’engagea-t-il une certaine lutte entre l’église et l’état, même sous la restauration. Lamennais dut renoncer à l’espoir d’une monarchie chrétienne, telle qu’il l’entendait, c’est-à-dire d’une monarchie gouvernée par l’église. De là un détachement de plus en plus manifeste à l’égard de la royauté, qui d’ailleurs en elle-même et indépendamment de ses rapports avec l’église lui était parfaitement indifférente. Le ministère Villèle, qui dura sept ans, et qui manœuvra habilement entre toutes les tendances de l’époque, en essayant de fonder une sorte de monarchie administrative, acheva de dégoûter entièrement Lamennais de ce gouvernement terre à terre, qu’il commença à juger, comme il fit, du reste, de tous les gouvernemens ultérieurs, avec le plus profond mépris. D’un autre côté, ayant quitté sa vieille Bretagne pour venir vivre à Paris, au sein du mouvement des idées et dans l’atmosphère d’une presse plus ou moins libre, mais dans laquelle, malgré tous les obstacles, toutes les idées cependant parvenaient à se faire jour, il est visible que Lamennais se laissa de plus en plus séduire par les idées libérales ; il les comprit chaque jour davantage, en vit mieux la vérité relative, la légitimité, et se trouva prêt à demander à ces idées nouvelles un appui qu’un vieux pouvoir vermoulu et délabré se montrait impuissant à lui prêter. C’est ce travail curieux de son esprit que nous voudrions étudier en détail, et qui se manifeste déjà dans son dernier écrit de 1829 : les Progrès de la révolution, mais qui est bien plus visible encore dans sa correspondance de cette époque.


I.

Au début de l’Esai sur l’indifférence en 1818, Lamennais disait que les gouvernemens sont tout-puissans « pour le bien comme pour le mal, » et que pour faire rentrer le peuple dans la voie du christianisme, il suffirait que l’autorité le voulût ; car « en mal comme en bien, on n’agit sur les peuples que par l’autorité. »