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Mais, en 1829, il ne comptait plus sur les gouvernemens, et dans la préface de son livre sur les Progrès de la révolution, il ne demandait pour l’église que la liberté, « liberté de conscience, liberté de la presse, liberté de l’éducation. » Il demandait que les catholiques ne fussent pas mis « hors la loi. » À quoi faisait-il allusion par ces étranges revendications ? Les catholiques hors la loi ! sous la restauration ! Qui pourrait le croire ? C’est pourtant ce qu’ils disaient alors à propos des ordonnances de 1828, qui avaient renouvelé les anciennes interdictions contre les congrégations religieuses, et en particulier contre les jésuites. C’est surtout à partir de cette époque que Lamennais, s’apercevant que l’autorité, même chrétienne, peut devenir gênante pour l’église, a commencé à faire appel à la liberté[1].

En même temps, Lamennais commençait à reconnaître que le mouvement libéral était trop étendu, trop puissant pour pouvoir s’expliquer uniquement par des préjugés et par des passions. Il rattachait le libéralisme au christianisme ; il rappelait tout ce que le christianisme et le catholicisme avaient fait pour l’émancipation des hommes ; et même il faisait remarquer que, si les peuples catholiques, en Europe, étaient les plus agités, les plus troublés, « les plus exposés à l’impulsion révolutionnaire, c’est qu’ils étaient les plus vivans. » Il affirmait que les libertés européennes ont été sauvées par les souverains pontifes, sans le secours desquels les peuples auraient été complètement opprimés par les rois. Le christianisme, en fondant le pouvoir sur Dieu, n’abandonne pas les peuples et reconnaît au-dessus des pouvoirs humains une loi de justice et de vérité. Dans ce même écrit de 1829, Lamennais allait plus loin encore. Il manifestait des tendances, non-seulement libérales, mais démocratiques. Il renouait l’alliance de la démocratie et de la théocratie, qui avait été essayée au XVIe siècle par le parti de la ligue. Ainsi, en se détachant de la cause du pouvoir royal, il trahissait déjà un fonds de tendances révolutionnaires. Il présentait la ligue comme son idéal et il en citait le Manifeste avec enthousiasme. Il distinguait la ligue et la tyrannie des seize : « Les seize, disait-il, à la tête d’une troupe de brigands, exercèrent, comme les membres du comité de salut public, un despotisme populaire. La ligue, malgré les passions et les intérêts privés qui s’y mêlèrent, dirigée par les maximes du droit public reçu, replaça la monarchie sur ses bases ébranlées. C’est cet ancien

  1. Il ne faut pas oublier qu’une portion du parti libéral, le journal le Globe par exemple, le plus hardi de tous au point de vue philosophique, s’unissait aux catholiques pour protester contre les ordonnances de 1828. Voir notre article : le Globe de la Restauration, dans la Revue du 1er août 1879.