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la liberté d’enseignement pour les catholiques et la liberté d’association pour les congrégations religieuses. Entre ces deux systèmes, Lamennais pensait qu’il était impossible d’hésiter. Il montrait que l’église en soi n’est incompatible avec aucune liberté, que l’abandon du salaire des prêtres ne compromettait en rien ni leur dignité ni leur sécurité. La séparation de l’église et de l’état était, suivant Lamennais, la conséquence nécessaire des doctrines romaines qu’il avait toujours soutenues. Car l’association de l’église et de l’état, sous quelque forme qu’elle se présente, c’est toujours le gallicanisme, la suprématie de l’état sur l’église, par la nomination des évêques, par la limite de son enseignement, par les entraves mises à la libre communication avec Rome. Rome, en s’opposant aux doctrines nouvelles, s’opposait donc à ses propres doctrines. Tel était le mémoire rédigé et présenté par l’abbé de Lamennais. On ne lui fit même pas l’honneur de l’examen. On ne l’invita pas, on ne l’autorisa pas à se défendre et à s’expliquer. Ici, Lamennais est véritablement intéressant et touchant. Peut-être encore une fois se fait-il illusion, en se persuadant qu’il eût cédé à un mot paternel ; mais on ne peut pas dire que cela n’eût pas eu lieu ; et le silence humiliant gardé à son égard, lui, le plus grand apologiste de l’église à cette époque, semble autoriser ses plaintes ; on est tenté de lui donner raison lorsqu’il s’écrie : « Je me suis souvent étonné que le pape, au lieu de cette sévérité silencieuse, ne nous eût pas dit simplement : Vous avez cru bien faire, mais vous vous êtes trompés. Placé à la tête de l’église, j’en connais mieux que vous les besoins et les intérêts, et seul j’en suis juge. En désapprouvant la direction que vous avez donnée à vos efforts, je rends justice à vos intentions. Allez, et désormais, avant d’intervenir en des affaires aussi délicates, prenez conseil de ceux dont l’autorité doit être voire guide. » Ce peu de paroles, ajoute Lamennais, aurait tout fini. Cela n’est peut-être pas aussi certain qu’il le croit ; mais au moins tous les torts eussent été de son côté. L’église aurait usé de maternité envers une grande et généreuse nature, entraînée seulement par un excès d’idéal. Mais rien ne fut dit : on resta de part et d’autre dans cette attitude de froide réserve et de silencieuse défiance qui envenimait tout et qui brisait l’âme de Lamennais ; car les natures sensibles et nerveuses comme la sienne sont par-dessus tout incapables de supporter l’attente, l’incertitude, les sous-entendus, les équivoques de la politique, et les lentes et froides résolutions de la vieillesse timide et circonspecte. Mille émotions contradictoires traversaient et ébranlaient son âme. Il eût peut-être aimé lui-même à être forcé de couper court à ses desseins par un mot décisif ; et si ce mot eût été accompagné de