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sous une réaction sanglante et décimée par d’affreux supplices : c’est le moment que choisissait la cour de Rome pour l’accabler et lui porter le dernier coup, et cela, trop évidemment, par des raisons purement politiques et temporelles, et parce que le pouvoir pontifical avait besoin de l’appui de la Russie. « Nous avons été informés, disait le bref de 1832, de la misère affreuse dans laquelle ce royaume a été plongé, et que cette misère avait été causée uniquement par les menées des malveillans, qui, sous prétexte de l’intérêt de la religion, se sont élevés contre la puissance des souverains légitimes. » Le bref soutenait, à l’aide de l’Écriture, « la soumission absolue au pouvoir institué par Dieu, » sans expliquer si cette soumission peut s’appliquer à un peuple conquis et qui cherche à reconquérir son indépendance. On se demande comment, avec ce principe, on pourrait justifier les Machabées, qui ont cependant été toujours cités comme exemple à tous les fidèles. On comprend que Lamennais ait été profondément froissé par ce bref, qui condamnait indirectement toutes ses doctrines et même plus encore, et qui lui ôtait toute illusion sur le rôle spirituel, fraternel, chrétien, de la papauté. Sans cependant combattre directement le bref, il s’en prend au Journal officiel, qu’il censure amèrement en ces termes : « Tant que l’issue de la lutte entre la Pologne et ses oppresseurs demeura douteuse, le Journal officiel romain ne prononça pas un mot qui pût blesser le peuple vainqueur en tant de combats. Mais à peine eut-il succombé, à peine les vengeances eurent-elles commencé le supplice d’une nation dévouée au glaive, à l’exil, à la servitude, que le même journal ne trouva pas d’expressions assez injurieuses pour flétrir ceux que la fortune avait abandonnés. » Je le répète, il nous est difficile de comprendre aujourd’hui les sentimens de Lamennais. La question polonaise a perdu de son acuité. La France a commencé à trouver ridicule le rôle de donquichottisme qu’elle s’était attribué dans le monde. Mais, à cette époque, la Pologne représentait, sous sa forme la plus aiguë, la lutte du despotisme et de la liberté. Les sentimens les plus amers durent atteindre, les âmes catholiques, en voyant un peuple catholique flétri par le pape pour avoir, comme les Machabées, soutenu la patrie et la religion les armes à la main.

Las d’attendre un jugement qui n’arrivait pas, Lamennais se décida à partir. Mais, en parlant, il fit une démarche grave, qu’on lui a reprochée, et qui contribua à envenimer le débat. Il déclara publiquement que, puisqu’on ne voulait ni le juger ni l’examiner, il allait reprendre la publication interrompue et recommencer l’Avenir. C’était une faute, étant donné qu’il voulût éviter la rupture et rester soumis au saint-siège. De fait, le silence pontifical équivalait